Armer les rebelles syriens, la seule solution envisageable

L'Union européenne a décidé de lever son embargo sur la fourniture d'armes aux rebelles. Risque de surenchère, escalade militaire, régionalisation, transferts d'armes… Les risques sont nombreux. Mais l'inaction est-elle préférable ?

L'attentisme des Occidentaux constitue la pire des options. Le peuple syrien a l'impression que la communauté internationale se désintéresse de son sort, impression croissante qui va de pair avec la violence des combats et l'attractivité des mouvements radicaux de tous bords.

Dans le même temps, la multiplication continuelle des acteurs armés (forces du régime, chabbiha alaouites, Armée syrienne libre – ASL –, radicaux sunnites, groupes palestiniens, Parti démocratique kurde, brigades druzes) complexifie la guerre civile et éloigne son issue.

La déstabilisation de la région, elle, est déjà bien avancée. L'avenir du Liban dépend désormais pour beaucoup de la situation en Syrie. La Jordanie craint l'agitation politique et ethnique, alors que l'Irak, divisé et voisin de l'Iran, est devenu une pièce maîtresse pour la survie du régime syrien. De leur côté, Israël et la Turquie, les deux puissants voisins militaires de la Syrie, développent des stratégies d'ingérence directe ou indirecte.

Par ailleurs, malgré la bonne volonté des populations locales, le nombre croissant de réfugiés syriens dans la région est une menace pour la concorde civile, qui y est souvent bâtie sur de fragiles équilibres ethniques, religieux et politiques, que leur présence finira par bouleverser si la situation s'ancre dans le temps.

Pourtant, les alternatives à cette situation existent bel et bien. Face au blocage du Conseil de sécurité, l'Assemblée générale de l'ONU pourrait s'autosaisir de la question, sur le modèle de la résolution 377, comme elle l'a fait pour la Corée, l'Afghanistan ou encore la Namibie. Mais qui veut aujourd'hui envoyer des casques bleus dans le bourbier qu'est la Syrie, quand ceux déjà présents dans le sud du pays se font prendre en otage ?

L'Union européenne pourrait forcer les belligérants à accepter une force d'interposition composée de bataillons européens. Mais le Conseil européen est-il capable aujourd'hui de se mettre d'accord sur autre chose que des condamnations de principe et d'insuffisantes sanctions ?

Une coalition militaire structurée (OTAN) ou ad hoc (Libye) pourrait intervenir hors mandat afin de détruire les forces blindées et aériennes du régime. Mais qui veut et qui peut aujourd'hui s'engager militairement contre le régime baasiste, soutenu militairement par les Russes et les Iraniens ?

Reste "Genève 2", cette réunion sous égide russo-américaine, en juin, qui signe le retour diplomatique de Damas. Mais qu'apportera cette réunion, si les parties au conflit ne s'entendent, ne serait-ce que sur le devenir de Bachar al-Assad ? Et en cas d'accord, qui dispose de l'autorité suffisante, sur le terrain, pour imposer aux groupes désormais chroniquement autonomisés un accord signé si loin des réalités quotidiennes d'Alep, de Der'a, d'Homs ou de Qousseir ?

STRUCTURATION DU CONFLIT

La livraison d'armes aux rebelles apparaît donc comme la seule stratégie envisageable. Les moins bien fournis d'entre eux sont les modérés, au détriment de la pacification, de la stabilisation ou ne serait-ce que de la structuration du conflit en fronts clairement identifiés.

Pour autant, armer l'ASL ne signifie aucunement lui conférer automatiquement une supériorité stratégique. Celle-ci dépend de trois variables : le volume d'armement (donner trop peu ne bouleverserait pas la donne), le niveau technologique des armes (l'ASL dispose déjà de lance-roquettes, mais pas de missiles antiaériens et antichars avancés) et leur déploiement sur le théâtre d'opération (une formation technique et tactique s'impose).

Mais une course aux armements est à craindre, ainsi qu'un accroissement de l'intensité des combats. Une quatrième variable est donc fondamentale : le temps. La course à la victoire est en effet encombrée de nombreux concurrents, prêts à lutter jusqu'au bout pour le contrôle du pays, de ses richesses et de ses arsenaux d'armes conventionnelles, balistiques et chimiques… Ou ne serait-ce que pour survivre au conflit.

Si la fourniture d'armes à l'ASL, en l'état actuel des choses, est la "moins pire" des solutions, elle doit alors constituer un acte stratégique décisif, c'est-à-dire aboutir à un arrêt des combats avec sécurisation du territoire dans un temps qui soit le plus court possible. Elle doit aussi et surtout être accompagnée des efforts politiques nécessaires à l'instauration d'une autorité gouvernementale représentative et efficace, capable d'assurer, avant même la chute du régime, la protection de l'ensemble de la population syrienne, sans distinction.

Par Julien Théron, chercheur en géopolitique des conflits et enseignant à l'université de Versailles-Saint-Quentin.

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