Arrêtons les procès en populisme !

La victoire de Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine est un archétype de cette démagogie nouvelle qui perturbe les jeux politiques traditionnels dans la plupart des grandes démocraties. Cette victoire inattendue s’ajoute à une liste déjà longue : celle des accusations en populisme faite à l’encontre de politiciens jugés atypiques. Jour après jour, l’actualité nous montre que les procès en populisme ne contribuent pas à rendre la situation politique plus intelligible, ni à combattre les politiciens concernés.

D’abord, car ils mettent en lumière les adversaires dénoncés en les attaquant sur des comportements ou des éléments de discours que l’on retrouve dans le reste de la classe politique.

Ensuite, car les procès en populisme ne font que rendre plausible la thèse d’une élite intellectuelle et politique menacée, qui use du concept pour disqualifier les nouveaux entrants sur le marché politique, et établir ainsi un «cordon sanitaire», selon l’expression de Chantal Mouffe.

Enfin, car en pratique tous les politiciens en campagne sont nécessairement populistes. Il est en effet paradoxal de voir certains personnages montrés du doigt comme mauvais démocrates, alors même qu’ils connaissent le succès grâce aux mécanismes démocratiques. Les éléments à charge sont en fait intrinsèques au politique : l’appel au peuple, la désignation d’ennemis et la simplification du message sont, par exemple, consubstantiels à l’exercice de campagne électorale. Dès lors, toutes les tentatives destinées à affirmer qui est populiste et qui ne l’est pas sont vouées à l’échec. Pourquoi, si tout le monde le pratique, certains seulement se trouveraient-ils disqualifiés ?

Au nom de la raison politique

Le politiste Ernesto Laclau avait notamment qualifié de «raison populiste» la façon dont les politiciens instaurent le peuple par le discours, à l’aide de termes suffisamment ambigus pour rassembler des demandes contradictoires. Il avait assimilé ce processus à la raison politique même. Donald Trump a (comme Nicolas Sarkozy en 2007 et bien d’autres) été le champion de cette gestion de la contradiction, en s’adressant avec succès à la fois aux élites économiques et à ceux considérés comme les perdants de la mondialisation, en mariant habilement libéralisme et protectionnisme. L’écho encore perceptible du discours de François Hollande contre la finance en 2012 est également un bon exemple de cette nécessaire utilisation de l’ambiguïté à des fins électorales. La désignation de cet ennemi, aussi peu précis fut-il, avait alors nourri une dynamique positive apte à embarquer l’électorat et, de ce fait, à donner corps à un «peuple».

Dans le fond, Donald Trump et ses équivalents européens peuvent être perçus comme de très bons démocrates, car adaptés à la survie au sein d’un écosystème politique hostile aux nouveaux entrants, et à un prisme médiatique qui favorise le spectacle et la simplicité. A quoi bon développer un projet complexe et cohérent pour gagner, alors que les chaînes d’information en continu, en particulier, privilégient les propositions choc, isolées de toute vision d’ensemble ou de constats sur l’état de la société. Les programmes politiques figés sur un support paraissent comme des matériaux morts en comparaison de propositions simples qui circulent agilement dans la sphère publique. Le format du projet de Nicolas Sarkozy pour l’élection primaire des Républicains est symptomatique de cette évolution, en se contentant d’une liste de propositions fortes, autonomes les unes des autres, sans chercher à élaborer de système cohérent. Dès lors, ont un avantage sur leurs concurrents les politiciens qui arrivent à lancer des idées qui captent l’attention et deviennent des enjeux débattus publiquement. Or, en publicité comme en politique, les idées ont besoin de prendre une forme courte et percutante pour se diffuser. Ceux que l’on labélise populistes sont en fait les rois de cette simplification efficace, rendue possible par un milieu favorable.

Quand les médias contribuent au succès des «populistes»

Il est par ailleurs important de comprendre que les «populistes» ne sont pas les seuls responsables de leurs succès. Donald Trump ou Marine Le Pen fondent leur puissance dans le fait que leurs idées s’imposent dans le débat public avec l’aide de tous : médias qui diffusent largement, citoyens et adversaires qui en discutent, y compris pour les dénoncer. Les politiciens en campagne ne maîtrisent pas la pénétration de leurs idées dans la sphère publique, et se contentent de tenter des coups. Ils lancent ainsi de nombreuses propositions, de sorte qu’au moins l’une d’elles circule largement et devienne un enjeu central. La campagne présidentielle américaine a ainsi vu la victoire d’un candidat producteur intensif d’ennemis. C’est pourquoi, plutôt que de diaboliser certains personnages, il serait pertinent de nous focaliser sur les conditions qui leurs permettent de rivaliser avec les classes politiques établies.

Xavier Mellet, Doctorant en science politique

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