Attentat de Berlin : « Quel degré de sécurité voulons-nous pour notre vie? »

L’attentat de Berlin était annoncé depuis longtemps. On ne savait évidemment pas à quel endroit le ou les auteurs de l’attentat allaient frapper, ni de quelle façon cela se déroulerait. Mais en principe, tout le monde savait en Allemagne qu’il y aurait tôt ou tard un attentat. En dépit de tous les efforts que l’on peut déployer, il est impossible d’assurer une sécurité absolue dans une société ouverte. C’est ce qu’ont montré les attentats en France et en Belgique, et le gouvernement fédéral allemand, ministre de l’intérieur en tête, n’a pas cessé de le répéter.

Pourtant, quels furent les manquements, les erreurs, et à quel niveau ? Douze personnes sont mortes. Elles seraient encore en vie aujourd’hui si certaines choses s’étaient passées autrement. Cela concerne d’abord la surveillance avec le supposé auteur de cet attentat : il était déjà connu des services de police, fiché comme dangereux, et il était dans le collimateur des forces de sécurité.

Graves dysfonctionnements

Indépendamment du fait de savoir s’il a commis ou non cet attentat, les explications autour de l’échec de son renvoi vers la Tunisie révèlent de graves dysfonctionnements – du côté allemand mais aussi sur le plan de la coopération internationale et avec le pays d’origine de cet individu. La complexité de la problématique montre que la sécurité intérieure ne peut plus être assurée au seul niveau national, ni même européen.

Elle relève de l’international. Cela ne simplifie pas pour autant la lutte contre le terrorisme, mais cela ouvre la possibilité, dans le cadre de la coopération internationale, de trouver la stratégie la plus adaptée contre ce phénomène transnational qu’est le terrorisme islamiste.

Se pose aussi la question de savoir si des mesures de sécurité adaptées sur le marché de Noël auraient pu empêcher un tel attentat. Cet attentat va ouvrir un débat qui ne doit pas seulement englober des aspects politico-criminels. Il faudra répondre à une question : quel degré de sécurité voulons-nous pour notre vie et que sommes-nous prêts à faire en ce sens ?

Désinvolture

En dépit de différentes réformes sur la législation sécuritaire, l’Allemagne se distingue toujours par une incurie : la vidéosurveillance des lieux publics se heurte à de violentes critiques, on a tôt fait de protester contre les conservations de données ; quant au travail des services secrets, on réclame, sans la moindre ironie, sa transparence à tout prix. On peut se demander si ce genre de désinvolture est de mise à un moment où le culte djihadiste de la terreur montre toute la violence dont il est capable.

Il faut également détecter les erreurs et les faiblesses du système et y remédier. L’Allemagne excelle dans cette discipline. Comme peu d’autres pays – sans doute en raison de notre histoire marquée par la culpabilité –, nous avons appris à être critiques envers nous-mêmes. Dans les discussions quotidiennes, les manquements sont pointés du doigt et les erreurs sont souvent reconnues.

L’Allemagne cherche toujours et d’abord la responsabilité dans son propre camp. Cette capacité à identifier de façon implacable les endroits où peuvent se loger des faiblesses est la première condition pour pouvoir vraiment y remédier. Nous excellons aussi dans une autre discipline : celle de la mise en œuvre. Une fois que des mesures sont décidées, on peut être sûr qu’elles seront vite appliquées.

Tirer les leçons de l’expérience ne suffit pas. Les terroristes sont des acteurs dynamiques. Ils se transforment, s’adaptent et sont très inventifs quand il s’agit de développer de nouvelles tactiques, de trouver de nouveaux moyens de communication et de recruter de nouveaux éléments. Ils y sont contraints parce que le premier but de ces attentats est de choquer.

Développer des scénarios plausibles

Les services de sécurité doivent donc aussi prendre les devants et chercher à s’imprégner des façons de penser des terroristes, aussi retorses soient-elles. Il leur faut développer des scénarios plausibles pour se tenir prêts à réagir. Cela aussi représente un défi qu’il n’est pas facile de relever.

Mais le plus grand défi actuel se joue au niveau politique. Quelques instants après l’attentat, on entendait déjà des voix s’élever pour tenter de tirer un profit de cet événement. Pendant que les réflexes de gauche tendaient à mettre en garde contre toute réforme en matière de sécurité, les populistes de droite accusaient sans ambages la chancelière Angela Merkel d’être responsable de la mort des personnes tuées sur le marché de Noël.

En dépit de tous les ratés qu’il y a eu l’an dernier autour de la crise des réfugiés, ceux qui critiquent Angela Merkel ne se rendent pas compte que sa politique d’accueil des réfugiés était le meilleur moyen de faire pièce à l’idéologie islamiste de l’organisation Etat islamique et consorts. Au slogan « L’Ouest vous déteste ! », l’Allemagne a opposé sa disposition à se montrer accueillante. Impossible de trouver un contre-message plus fort.

Maintenir la cohésion

Le contact avec les réfugiés montre que la plupart d’entre eux ont su se montrer reconnaissants envers nous. On l’a d’ailleurs bien vu en octobre, lorsqu’un potentiel terroriste syrien a été repéré sur les réseaux sociaux par d’autres Syriens qui ont permis de l’arrêter.

Tous ceux qui recourent à des slogans xénophobes doivent comprendre qu’ils rendent ainsi service aux islamistes radicaux. Le but ultime des djihadistes est de semer la zizanie et de diviser la société. Ils n’y sont pas parvenus. Berlin pleure ses morts et prie pour ses blessés, mais nulle part la moindre trace de panique ou d’hystérie. « Berlin, moins que jamais impressionné », a titré très justement le Spiegel.

Il y a donc de bonnes chances que l’on parvienne à maintenir la cohésion entre tous ceux qui désirent vivre en paix en Allemagne. C’est capital pour la protection de notre démocratie mais aussi pour la lutte contre le terrorisme. On ne pourra pas empêcher des individus radicalisés de faire du mal s’ils y sont résolus. Mais on peut réduire leurs marges de manœuvre si l’on parvient à empêcher qu’ils vivent dans un environnement qui leur est favorable et leur offre tout un réseau de soutiens.

Par Kristina Eichhorst, chercheuse et coordinatrice des gestions de crises et des conflits, spécialiste du terrorisme à la Fondation Konrad Adenauer de Berlin.  Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses.

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