Au Brésil, le parti des travailleurs remporte une fragile victoire

Au Brésil et comme à chaque fois, le président sortant a été réélu. À l’instar de Fernando Henrique Cardoso en 1998 et de Lula en 2006, Dilma Rouseff, sa dauphine, est assurée de gouverner quatre ans de plus cette République fédérale. Et à travers Mme Rousseff, le Parti des travailleurs (PT, formation cofondée par Lula et aujourd’hui de centre-gauche) remporte sa quatrième présidentielle d’affilée face au PSDB (parti de centre-droit).

Certes, il vient de perdre une quinzaine de sièges au Congrès et les gouvernatoriales ne lui ont pas été favorables. Mais grâce au pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat quant à la nomination et révocation des titulaires de 22 500 postes importants de l’administration fédérale, les cadres du PT vont conserver les multiples positions qu’ils occupent dans l’appareil d’Etat depuis douze ans. Pour autant, ni Mme Rouseff et encore moins le PT ne peuvent véritablement crier victoire. Ce nouveau mandat présidentiel sera pour eux d’emblée difficile.

En effet, les soutiens de Dilma Rousseff dans l’opinion sont moins solides et homogènes qu’il n’y parait ; ils devraient rapidement s’étioler. Jamais au Brésil un scrutin présidentiel n’a été si serré : Mme Rousseff ne l’a emporté qu’avec avec 51,6% des suffrages exprimés contre son adversaire, Aécio Neves (48,4%). À ce premier indice de nation divisée, s’ajoute la répartition sociologique des voix. Jamais elle n’a été autant statistiquement corrélée aux inégalités sociales.

PRÉSIDENT CHARISMATIQUE

Dès 2006, les couches populaires, notamment sous l’effet de hausses répétées du salaire minimum, de politiques sociales et redistributives mises en place par Lula, s’étaient mises à voter massivement pour ce président charismatique. En 2010, elles avaient soutenu plus encore sa protégée, Dilma Rouseff. Et elles forment aujourd’hui environ 70% de l’électorat de celle-ci.

Mais une part croissante d’entre elles vient à considérer différemment ces politiques sociales. Tant que ces petites gens les ressentaient comme un don salvateur, venu d’un Etat qu’ils personnifiaient, elles s’estimaient redevables envers Lula, Dilma Rousseff et le PT ; elles votaient donc fortement pour eux. Mais parce qu’elles commencent à y voir comme une sorte de droit acquis, ces politiques sociales s’en trouvent banalisées ; ce qui réduit à terme les probabilités de contre-don électoral.

Plus grave : parmi les couches moyennes basses ou intermédiaires, aujourd’hui principales composantes démographiques de ce pays de 203 millions d’habitants, Dilma Rousseff s’est faite devancée par Aécio Neves. En leur sein, de nombreux foyers sont très endettés et s’inquiètent de la stagnation de leur pouvoir d’achat. Celui-ci va reculer, sous l’effet combiné de l’inflation des prix à la consommation (+6,5% pour 2014) et d’une inévitable hausse du chômage puisque la croissance du PIB est atone en 2014 (+0,3%) et le restera probablement en 2015 (+0,5%), et puisque le nombre de créations d’emplois formels, faute de dynamisme économique, ne cesse de reculer.

LARGE AJUSTEMENT FISCAL

Bref, d’ici les municipales de 2016, compétition cruciale pour disposer d’élus locaux qui mobiliseront sur le terrain les électeurs lors de la prochaine présidentielle, Mme Rousseff et le PT risquent donc de perdre beaucoup de leurs actuels sympathisants. Sans compter que le gouvernement ne pourra éviter de procéder à un large ajustement fiscal, ni à une réforme du régime des retraites (très déficitaire concernant la fonction publique). L’accroissement des taxes, impôts et cotisations ajoutera à la désillusion et au mécontentement.

En outre, le niveau d’instruction de la population adulte va encore progressé au cours de ce nouveau mandat, en raison de politiques d’accès facilité à l’enseignement supérieur (système de bourse et de quotas, nouvelle filières, enseignement de la seconde chance). C’est d’ailleurs un besoin impératif pour le pays tant il souffre d’un manque de main d’œuvre qualifiée et de techniciens spécialisés. Mais ainsi des millions de brésiliens vont être plus sensibles, puisque les comprenant davantage, aux éditoriaux et reportages de la presse d’information écrite et audio-visuelle ; or celle-ci est pour l’essentiel aux mains de groupes familiaux grandement hostiles au PT et favorables au PSDB.

Face à de tels périls, Mme Rousseff pourrait certes lancer de nouveaux programmes sociaux d’envergure. Mais elle n’en a pas les moyens budgétaires. Quant à augmenter nettement le salaire minimum, cela serait économiquement contre-performant : l’inflation en serait boostée (ce qui obligerait la Banque centrale à élever ses taux de bases, endiguerait donc les chances de reprise économique, élèverait le service de dette) ; et la productivité régresserait alors qu’elle est déjà fort basse dans les entreprises, principalement dans l’industrie (secteur dont la balance commerciale est amplement déficitaire). Mme Rousseff ne peut pas non plus compter sur les effets domino d’une reprise internationale, puisque celle-ci n’est que très timide.

Aussi s’est-elle tournée, dès sa réélection connue, vers l’autre moitié du pays, lui promettant de satisfaire ses souhaits en matière de lutte contre la corruption et de « réforme politique ». Mais là encore l’horizon parait obstrué. D’une part, les plus grosses affaires de corruption concernent actuellement le PT ; il aurait bénéficié de financements occultes provenant d’entreprises publiques. D’autre part, pour améliorer le système représentatif et assainir les partis, il convient de réviser lois et constitution, donc obtenir l’aval du Congrès. Or y siègent majoritairement des bénéficiaires de ces règles.

Lors de ce premier discours d’après-campagne, Mme Rousseff s’est vêtue de blanc, abandonnant ses habituelles robes rouges de candidate, couleur du drapeau du PT. On peut y voir comme un reniement supplémentaire aux idéaux sociaux historiques du parti ; on peut aussi deviner dans ce changement de couleur comme un début d’un chant du cygne.

Stéphane Monclaire est également chercheur au Centre de recherche et de documentation des Amériques, politiste, maître de conférences à Paris1.

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