Au Darfour, l'ONU cache des crimes de guerre

Des policiers ivres parcourant les rues en titubant et en tirant des coups de feu au hasard. Un garçon de 14 ans atteint par une balle perdue alors qu'il dînait avec sa famille. Deux garçons tués après que les objets qu'ils prenaient pour des jouets explosent. Une jeune fille de 17 ans enceinte enlevée par des miliciens armés, victime d'un viol collectif puis jetée sur la route. Cinq personnes, dont un enfant, qui faisaient la queue à un point d'eau, réduites à néant par les bombes du gouvernement. Razzias de villages par des centaines d'hommes de tribus munis d'armes que leur a fournies le gouvernement.

Telle est la réalité de cette région oubliée du monde. Le conflit au Darfour, souvent représenté comme une bataille opposant « nomades et fermiers », « Arabes et Africains », « le gouvernement contre les rebelles », est en réalité une guerre généralisée. Malgré la présence de l'une des plus importantes opérations de maintien de la paix au monde, le Darfour est une zone meurtrière où règne la loi de la jungle.

Des millions de femmes, d'hommes et d'enfants sont pris au piège, oubliés et dénués de toute protection, condamnés à errer d'un camp à un autre dans le seul espoir de survivre.

D'après les estimations prudentes de l'ONU, plus de deux millions de personnes sont « déplacées internes », de fait un euphémisme pour « sans-abri ». Mais ce que ne dit pas l'ONU, c'est combien de personnes sont mortes depuis 2003, année où le Darfour a commencé à faire la « une » des journaux internationaux. Sa dernière estimation officielle, qui remonte à avril 2008, était de 300 000. Depuis, il semblerait que personne n'ait tenu de registre adéquat.

D'UN CONFLIT CIVIL À UNE GUERRE CONTRE LES CIVILS

J'ai aussi été témoin de manoeuvres systématiques et constantes de la part de la Mission conjointe des Nations unies et de l'Union africaine au Darfour (Minuad) et du système onusien, jusqu'au bureau du secrétaire général, visant à cacher ces crimes. Les rapports de l'ONU exposent souvent les faits de manière sélective lorsqu'il s'agit de présenter la mission comme une success story.

Entre-temps, les casques bleus ont assisté, impuissants, au largage de bombes par l'armée de l'air soudanaise depuis des avions Antonov de fabrication russe sur des villages à proximité, et se sont eux-mêmes retrouvés harcelés, humiliés, pris en embuscade et ciblés par les tirs, aussi bien par les forces gouvernementales que par les insurgés.

Certains de mes anciens confrères ont affirmé que le Conseil de sécurité était tout à fait conscient de la tragédie qui frappe le Darfour mais qu'il ne ferait rien pour stopper la violence tant qu'il n'y aurait pas de vainqueur et que ce vainqueur ne déciderait pas de rétablir la paix. D'autres ont nourri l'espoir que le président soudanais, Omar Al-Bachir, finirait par être remis à la Cour pénale internationale afin d'y être jugé pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Et j'ai entendu de nombreux autres scénarios. Mais, si la communauté internationale attend le triomphe d'un camp, elle risque d'attendre longtemps, très longtemps. Dans l'intervalle, des civils continueront à mourir.

L'ONU, épousant la ligne de Khartoum, déclare que la guerre au Darfour constitue essentiellement un cycle de violence associant insurrection et contre-insurrection. La réalité est que le gouvernement d'Al-Bachir a transformé un conflit civil en une guerre contre les civils, orchestrée et armée par le gouvernement, les insurgés contribuant à jeter de l'huile sur le feu.

En parlant de contre-insurrection, on oublie la situation tragique des civils qui, depuis vingt ans, font l'objet d'attaques délibérées, aveugles et systématiques. Ne nous méprenons pas. La guerre au Darfour n'est pas une guerre civile. C'est une guerre contre la population civile du Darfour.

C'est pour des raisons d'accès aux terres, à l'eau et aux pâturages que les fermiers Fours et les nomades arabes sans terre sont devenus des adversaires. Ce n'est qu'à partir de 1994 que le gouvernement de Khartoum a été partie à ce conflit civil en décidant de diviser la région et en chargeant ses amis de l'administrer. Cette décision a modifié les rapports de force en faveur de certaines des tribus arabes alliées de Khartoum et affaibli les Fours, les Zaghawas et les Massalits, entre autres groupes. Nombre d'entre eux ont perdu leurs fiefs et leurs droits historiques, devenant ainsi victimes de l'exclusion.

Les victimes du Darfour se sont rebellées et le gouvernement leur a déclaré une guerre sans merci en déployant son arme la plus redoutable, les milices janjawid. En 2004, lorsque le Conseil de sécurité a « réclamé » qu'Al-Bachir dissolve et neutralise les janjawids, celui-ci s'est contenté de les intégrer dans les forces armées soudanaises. Les brutalités ont continué. Lorsque la rébellion civile s'est organisée sous la forme d'une insurrection armée, des atteintes flagrantes aux droits de l'homme et des crimes de guerre ont été commis par toutes les parties et, depuis, l'impunité règne en maître.

« JE DEMANDE AU PEUPLE DU DARFOUR DE ME PARDONNER »

Quant aux civils pris au beau milieu de ces troubles, ils sont attaqués par les forces gouvernementales, les insurgés, les combattants tribaux, d'innombrables bandits et quiconque a les moyens de s'acheter une arme made in China.

L'action et l'inaction de l'ONU ont eu pour effet de transformer le Darfour en l'une des plus longues guerres d'Afrique contre les civils. Le peuple soudanais mérite une paix réelle et totale. Maintenant.

Le document de Doha pour la paix au Darfour que la Minuad a contribué à négocier voilà près de trois ans, et essaie encore de vendre, est dans l'impasse.

Tout négociateur de paix honnête (ce que ne saurait être l'équipe dirigeante de la Minuad) commencerait par admettre que, pour apporter une paix pérenne au Darfour, tous les conflits que le gouvernement a orchestrés à travers le pays doivent prendre fin, notamment dans les régions du Darfour, du Kordofan Sud, du Nil Bleu et du Soudan oriental.

Un accord de paix réellement global ne doit exclure aucune région du Soudan, aucun groupe ethnique et aucune tribu.

Je demande au peuple du Darfour qui souffre depuis si longtemps de me pardonner d'avoir mis tant de temps à exposer la vérité et d'enfreindre ainsi le code de conduite de l'ONU et sa règle de confidentialité.

Par Aicha Elbasri, Ancienne porte-parole de la Minuad (août 2012-avril 2013)


La Minuad, Mission conjointe des Nations unies et de l'Union africaine au Darfour, a été créée en 2007 afin d'établir la paix dans la province du Darfour. C'est la plus grande force de maintien de la paix au monde avec plus de 20000 soldats et policiers.

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