Au-delà de l'austérité, l'urgence d'une Europe plus sociale s'impose

La Commission européenne est sortie de son crédo libéral ce mercredi 18 avril en plaidant pour des salaires minimums décents dans toute l'Union européenne. C'est une initiative qu'il faut souligner, car au moment où les plans d'austérité font risquer à certains pays de l'Union européenne de plonger en récession pour un certains temps, il est urgent de remettre au centre du débat l'enjeu social et la nécessité de lutter contre la pauvreté.

Pendant un demi-siècle, l'Union européenne a fait de la dimension sociale une caractéristique de sa construction. Dès les origines, le Traité CECA a consacré la place des partenaires sociaux - représentants des travailleurs et des entreprises - que le traité de Maastricht renforcera plus tard. Aujourd'hui, les centaines de comités d'entreprise européens, les dizaines de comités sectoriels font de l'Europe le seul espace transnational disposant d'outils puissants de dialogue social.

Au fil des ans, accords des partenaires sociaux et directives ont construit un socle social traitant du temps de travail, de la santé au travail, de l'égalité hommes-femmes, de l'exclusion, ... Mais, depuis une dizaine d'années, la machine s'enraie. Il est devenu de plus en plus difficile de trouver des compromis satisfaisants dans une Europe à 27 Etats, aux histoires sociales et aux niveaux de développement si différents. La monnaie unique qui préserve le pouvoir d'achat des dévaluations compétitives a donné lieu à de nouvelles formes de concurrence entre les Etats et entre les entreprises. La crise financière de 2008 se prolonge indéfiniment et douloureusement par la crise monétaire. Elle conduit, fort heureusement, les Etats à s'engager dans une gouvernance économique, mais en laissant de côté les enjeux de cohésion sociale. Tous les ingrédients sont là pour rompre structurellement l'interaction entre l'économique et le social, marque de fabrique de l'UE, qui a fait du dialogue social l'outil de construction du progrès social. L'Europe prend le risque d'éviter l'implosion politique au prix d'une explosion sociale.

Il faut de façon urgente remettre au centre des préoccupations cette dimension sociale qui a fait son histoire et en a fait un horizon pour beaucoup de travailleurs bien au-delà de l'Europe. Pour ce faire, on peut cerner trois objectifs de portées très différentes en allant du plus long terme à l'immédiat.
Un agenda social pour avancer vers un marché du travail européen. Le rapport de Mario Monti et la communication de Michel Barnier contiennent beaucoup de propositions pour poursuivre la construction du marché unique. Il est nécessaire d'avancer de pair vers un marché du travail européen. A cet effet la Commission devrait interpeller les partenaires sociaux européens pour construire un agenda social permettant de donner du contenu en matière de formation continue, de transferts de compétences, de maintien de garanties sociales en cas de mobilité intra-européenne, d'accompagnement des salariés touchés par les mutations technologiques... Il s'agit d'investir dans la qualification et les compétences des salariés pour que l'Europe assure sa transition dans une économie durable au sein d'un monde en pleine mutation.

Pour une nouvelle architecture du dialogue social dans le cadre du semestre européen. La crise monétaire a conduit l'UE à créer le semestre européen avec l'objectif de faire converger les politiques budgétaires nationales pour assurer la stabilité monétaire. Semestre adossé au pacte "Euro+" qui, dans sa forme actuelle, très orientée sur la maîtrise des coûts et la réduction des déficits veut encadrer l'évolution des salaires et réduire les dépenses de protection sociale, met le dialogue social national de beaucoup de pays sous la contrainte des décisions européennes. Le semestre européen doit être l'occasion de bâtir un processus de dialogue social en phase avec les défis de l'Europe d'aujourd'hui pour conjuguer au mieux les enjeux économiques et sociaux dans une gouvernance qui prend forme. Il faut pour cela disposer, tant au niveau européen qu'au niveau national, d'un espace de dialogue qui permette de confronter développement économique, cohésion sociale, maîtrise budgétaire, rythme et conditions de l'absorption des déficits.

Assurer dans chaque Etat de l'Union la garantie d'un salaire plancher. De façon immédiate, il faut assurer dans chaque pays de l'Union une forme de protection collective en donnant à chaque salarié la garantie d'un salaire plancher. En France, le SMIC et l'extension des conventions collectives assurent cette garantie. Ce n'est pas le cas, par exemple, en Allemagne où certains secteurs peuvent pratiquer des salaires très bas. Dans un contexte marqué par une plus grande dureté de la concurrence à l'échelle mondiale, l'Europe essaie depuis des années de s'en sortir par la baisse du coût du travail et la concurrence intra-européenne ce qui conduit à l'enfoncer dans une spirale descendante où la concurrence sociale renforcera la précarité et le nombre de travailleurs pauvres.

La garantie d'un salaire minimum par pays permettrait de rompre cette spirale. C'est peut-être ce qu'a enfin intégré la Commission européenne, le Commissaire Lazlo Andor en charge des affaires sociales ayant déclaré mercredi : "nous faisons un pas en avant" et "le salaire minimum est un bon instrument pour lutter contre la pauvreté" mais aussi pour rendre certains emplois "plus attractifs".

Reste à voir comment l'Allemagne, entre autres, répondra à cette communication sur un domaine où l'Union n'a que peu de compétences, le droit social étant en majorité une prérogative des Etats. C'est en tout cas un signe positif qui peut permettre avec d'autres avancées de redonner sens, contenu et perspectives aux citoyens qui doutent de plus en plus que l'Europe soit vecteur de progrès social.

Par Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT et Thomas Houdaille, secrétaire général d'EuropaNova.

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