Au Guatemala, la lutte contre la corruption laisse un socle de justice et de conscience citoyenne qu’aucune mafia ne pourra détruire

C’est pendant la guerre civile (1960-1996) que sont nés, ont grandi et se sont consolidés les appareils de sécurité clandestins qui se sont incrustés dans l’Etat guatémaltèque. Dans ce contexte, et en raison d’un système inique, marqué par l’impunité et la corruption, qui entravait le développement du pays, le gouvernement de la République, sur une initiative de la société civile, a sollicité en 2006 les Nations unies afin que soit mis en place un organe international chargé d’aider le Guatemala à démanteler ces forces clandestines et à lutter contre l’impunité. C’est ainsi qu’est née la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig).

Le traité passé entre l’ONU et l’Etat guatémaltèque constatait que ces forces paramilitaires étaient coupables de crimes et de graves violations des droits de l’homme et jouissaient d’un tel pouvoir qu’elles étaient capables de garantir aux responsables l’impunité – soit l’absence, de fait ou de droit, de responsabilité pénale, civile ou autre. Comme ce texte en prenait acte, une telle situation fragilisait l’Etat de droit et plaçait les pouvoirs publics dans l’incapacité de protéger la vie et l’intégrité physique de leurs citoyens et d’assurer leur accès à la justice.

Vaste système de crime organisé

La création de la Cicig elle-même s’est accompagnée d’une consolidation de la justice et des instances judiciaires au Guatemala. La législation a été amendée et enrichie, avec notamment l’adoption de la loi contre le crime organisé, qui a introduit des méthodes d’enquêtes pénales spéciales comme les écoutes téléphoniques et le principe de la « collaboration efficace » [certains mis en cause bénéficient de peines allégées en échange de leur témoignage], et la loi sur les procès à haut risque, qui a permis la création de tribunaux et de magistrats spécialisés dans le traitement des affaires les plus sensibles.

L’affaire dite de « La Linea », qui a mis en cause l’ancien président de la république Otto Pérez Molina [élu en 2012, il a été contraint à la démission en 2015] et de nombreux hauts fonctionnaires en poste sous son mandat, est un modèle du genre : sans ces nouveaux dispositifs spécifiques, jamais il n’aurait été possible de dévoiler ce vaste système de crime organisé, ses modes opératoires, ses financements et ses liens avec des représentants de l’Etat.

La Cicig a, depuis sa création, révélé de nombreuses affaires qui ont mis au jour l’ampleur de la corruption et de l’impunité au Guatemala.

Par leur étroite collaboration, la justice guatémaltèque et la Cicig ont engagé contre ces deux fléaux une lutte frontale et sans précédent. Nous avons alors découvert qu’après le passage à la démocratie, en 1982, les appareils de sécurité parallèles s’étaient transformés en véritables réseaux politico-économiques. Douze années durant, la Cicig et la justice ont avancé main dans la main. Incontestablement, le soutien de la communauté internationale s’est révélé vital dans ce processus de renforcement de nos institutions et de lutte contre le crime organisé.

Menaces de mort

Si la Cicig n’est plus en activité, ce n’est pas parce qu’elle n’était plus nécessaire. C’est parce que la coalition criminelle qui tient l’Etat guatémaltèque sous sa coupe a recouru de nouveau à ses vieilles pratiques de cooptation, a mis en œuvre un plan visant à discréditer le travail de la Commission et a obtenu qu’elle soit chassée du Guatemala. L’action du président sortant [Jimmy Morales, lui-même mis en cause en 2017 par la Cicig pour financement illégal de sa campagne] aura été déterminante : il restera dans l’histoire, et dans les mémoires du peuple guatémaltèque, comme l’artisan de la destruction de la Cicig.

Tous ceux qui, comme moi, ont participé à ces efforts sont aujourd’hui persécutés pour ce qu’ils ont fait pour libérer le Guatemala de la mafia. Le commissaire de la Cicig Iván Velásquez est interdit de séjour dans le pays depuis 2017, sur la volonté du président Jimmy Morales et alors même que cette décision a été invalidée par la Cour constitutionnelle.

Je fus moi-même, de 2014 à 2018, procureure générale de la République et à la tête de la lutte menée par la Cicig contre la corruption et l’impunité. En représailles, moi et ma famille avons reçu des menaces de mort, et la justice a été manipulée pour tenter de me faire arrêter et pour faire comprendre à tous ceux tentés d’agir qu’ils seraient à leur tour sanctionnés par ce système corrompu. Alors même que je bénéficie de mesures de sécurité ordonnées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, j’ai été contrainte de m’exiler parce que je craignais pour ma vie.

La Cicig laisse cependant à notre pays un socle de justice, de probité et de conscience citoyenne qu’aucune mafia ne pourra détruire. C’est sur ce socle qu’il faut ériger le Guatemala nouveau, en préparant le retour à la lumière après les ténèbres dans lesquelles l’a fait entrer l’expulsion de la Cicig. (Traduit de l’espagnol par Julie Marcot)

Thelma Aldana (Ancienne présidente de la Cour suprême guatémaltèque)


Ancienne présidente de la Cour suprême guatémaltèque, Thelma Aldana a dirigé le parquet général entre 2014 et 2018. Avec la Commission internationale de lutte contre l’impunité au Guatemala (Cicig), elle a mis au jour de nombreuses affaires de corruption. Le mandat de la Cicig a pris fin le 3 septembre, le président sortant, Jimmy Morales, ayant refusé de le renouveler. Ecartée de la course présidentielle pour des raisons fallacieuses, Mme Aldana a dû quitter son pays en mars après des menaces de mort.

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