Au lieu de parler d’hiver islamiste, aidons les pays arabes libérés

Le monde arabe est-il entré dans une phase de dépression post-révolutionnaire? Force est de constater que la déception est grande: impasse sur le plan international, incertitude sur le plan intérieur… La transition traverse des turbulences qui risquent de compromettre le processus de reconstruction politique. Les inquiétudes font toutefois partie intégrante de toute transition démocratique et les pays arabes ne sont pas les premiers à en vivre une.

L’enthousiasme suscité au début du mandat de Barack Obama par son discours du Caire avait fait renaître l’espoir dans cette partie du monde. L’élection d’un président américain jeune et issu de la communauté noire avait créé de fortes attentes après les mauvais souvenirs laissés par les deux mandats républicains des George Bush, père et fils.

S’agissant du conflit israélo-palestinien, le président Obama a déçu parce qu’il n’a pas réussi à obtenir le minimum requis pour le processus de paix, à savoir un moratoire du gouvernement israélien sur la construction de nouvelles colonies dans les territoires palestiniens. De même, il va sans dire que Washington a longtemps hésité avant de prendre la défense de la rue arabe face aux régimes autoritaires. Les Etats-Unis ne pouvaient pas facilement lâcher Hosni Moubarak, leur meilleur allié dans la région.

Parler d’un «hiver islamiste» après le Printemps arabe est injuste et réducteur. D’abord, ce dernier n’est pas une saison touristique. C’est une détermination ferme du citoyen arabe d’assumer son destin et de le changer. Cette volonté n’est pas saisonnière. Les manifestations récurrentes à Tunis et au Caire, malgré les victoires électorales islamistes, en témoignent. Le Printemps arabe n’est pas en train de s’essouffler. Si les islamistes n’ont pas posé les premiers jalons d’une transition démocratique, c’est en grande partie à cause des régimes déchus. Ceux-ci avaient joué avec le feu en reportant constamment la possibilité, pour les mouvements à référence religieuse, de participer à la vie politique. C’est ainsi que les islamistes ont gardé intacte leur «virginité» et leur capacité de mobilisation.

Il est trop tôt pour émettre un jugement sur la réussite ou l’échec du Printemps arabe. D’autant plus qu’une transition démocratique est un processus très long et incertain. Il est difficile de construire une nouvelle culture politique fondée sur l’ouverture, le pluralisme et la participation de tous dans des pays où les pouvoirs en place avaient tout fait pour verrouiller les champs politique, social, économique et médiatique. La chute de ces régimes qui ne gouvernaient que par la force laisse des pans entiers de la société sans langage, sans nouveau discours. La transition requiert plusieurs années de négociations, une dynamique permettant la constitution de partis politiques et de coalitions plutôt que la confrontation et les violences. Dire que le Printemps arabe s’est mué en automne ou en hiver islamiste, c’est faire insulte à ces peuples qui ont affronté, à mains nues, des régimes sans scrupule pour demander tout simplement plus de liberté et plus de dignité.

Il est vrai que cette idée trouve un écho en Europe. Les dictateurs partent, les islamistes arrivent. Oui, une certaine crainte s’est emparée des institutions et des décideurs européens de voir la transition amorcée dans le monde arabe produire un effet contraire à celui souhaité. Mais il faut rappeler que l’on n’assiste qu’à des débuts, compliqués par les difficultés économiques. Les islamistes ont réussi parce qu’ils étaient les mieux préparés, les plus disponibles. Ils avaient une force d’attraction qui a fait défaut chez les autres. Il faut admettre que, dans un temps record, la dynamique de reconstruction politique et de mobilisation collective est bien amorcée. Des élections propres et transparentes sont organisées ayant débouché sur des assemblées constituantes. En chassant les dictateurs, les jeunes Arabes ont réussi un exploit historique, mais leurs aînés peinent à passer de la révolution à l’Etat.

Aujourd’hui, le soutien politique et économique de l’Occident fait hélas défaut. Les difficultés financières du Vieux Continent sont un handicap pour l’aide. Certains pays européens estiment qu’ils ont assez de problèmes intérieurs pour s’occuper de ceux des autres. Mais quand il fallait trouver des milliards pour sauver des banques sans scrupule, l’argent était disponible. D’autant plus que les économistes estiment le coût du soutien à la transition dans les pays arabes à 10% du montant dépensé par l’Allemagne de l’Ouest pour absorber sa voisine de l’Est. Il ne s’agit pas de demander l’ouverture des caisses européennes aux pays du Sud. Soutenir les pays de transition est un investissement pour l’avenir. Pendant des années, les importations des pays du Sud en armement et en munitions ont contribué à la création de milliers d’emplois en Europe et ailleurs et fait prospérer nos économies. Les régimes déchus ont ruiné leurs pays dans le but de s’acheter une virginité de survie.

Au lieu de développer un discours de culpabilité et de regret en direction des peuples arabes, l’Europe sortira grandie en soutenant leur longue marche vers un avenir meilleur. En somme, c’est rendre justice à une population meurtrie.

Hasni Abidi, chargé de cours à l’Institut européen.

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