Au Pakistan, la démocratie restera-t-elle volatile ?

Le 25 juillet, quelque cent millions de Pakistanais – dont près de la moitié dans la tranche d’âge des 18-35 ans – vont avoir la possibilité de se prononcer sur les personnes qu’ils souhaitent voir les représenter au sein de l’Assemblée nationale et dans les assemblées provinciales. Près de douze mille candidats se disputent les huit cent quarante-neuf sièges « généraux » en jeu : deux cent soixante-douze à l’Assemblée nationale et cinq cent soixante-dix-sept dans les assemblées provinciales.

A cela s’ajouteront les sièges réservés aux femmes et aux minorités religieuses et attribués aux partis en proportion de leurs résultats électoraux. Dans un pays où le taux de participation a peu souvent dépassé les 50 %, la capacité d’un parti à mobiliser l’électorat, majoritairement masculin, est un facteur important pesant sur le résultat des urnes. Tout comme l’égalité de traitement accordée aux partis sollicitant les suffrages. Or, cette condition ne semble pas remplie.

Si, pour la première fois, le pays a connu au cours de la décennie écoulée une alternance démocratique qui n’a pas été interrompue avant terme, les affaires de corruption et l’ombre de l’establishment militaire n’ont encore jamais permis à un chef de gouvernement de rester en place le temps d’une législature. Le dernier exemple en date est Nawaz Sharif, forcé d’abandonner la fonction de chef de gouvernement à l’été 2017 suite à une décision de la Cour suprême lui refusant la qualité d’honnêteté requise dans la Constitution (article 62) suite aux révélations des « Panama papers ».

Les ennuis judiciaires de Nawaz Sharif

La plus haute juridiction a ensuite enfoncé le clou en début d’année en lui interdisant toute charge publique. Depuis, c’est son frère Shahbaz, ministre en chef du Pendjab depuis 2008, qui l’a remplacé à la tête du parti dominant, la Pakistan Muslim League-N (PML-N), et qui mène campagne. Le 6 juillet, la Cour anticorruption est allée encore plus loin en annonçant la condamnation de Nawaz Sharif à dix années de prison (et sept années pour sa fille, Maryam, présentée comme son héritière politique) pour possession de biens immobiliers londoniens ne correspondant pas à des revenus connus.

Depuis la capitale britannique, où il était au chevet de son épouse gravement malade, Nawaz Sharif avait annoncé son retour au Pakistan le 13 juillet, quitte à être emprisonné. Ecarté du pouvoir en 1999 lors du coup d’Etat du général Musharraf, exilé en Arabie Saoudite jusqu’en 2007, il a promis lors de sa troisième accession en 2013 à la tête du gouvernement d’asseoir la primauté du pouvoir civil.

Pour Nawaz Sharif, ses ennuis judiciaires sont moins liés à une question de probité qu’à sa volonté de remettre en cause l’ascendance des militaires sur les affaires du pays. Il veut, pour preuve des interférences de l’establishment, la subjugation de l’institution judiciaire de manière à ce que celle-ci pratique une approche sélective dans la lutte anticorruption, les pressions sur les médias ou encore les défections de dernière minute de candidats de la PML-N.

Sur la liste grise des pays sous surveillance

Dans un pays où les partis politico-religieux traditionnels n’ont jamais réussi à percer électoralement, des candidats émanant de groupes extrémistes vont pour la première fois participer en grand nombre à ces élections, une forme de légitimation d’un discours sectaire et violent. Or, l’establishment militaire n’aurait notamment pas apprécié que Nawaz Sharif s’insurge contre les liens troubles entretenus avec les milieux djihadistes qui fragilisent la position du pays à l’international. Les autorités du pays n’ont d’ailleurs pas réussi à convaincre le Groupe d’action financière (GAFI) – organisme intergouvernemental, créé en 1989 par le G7, chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme – qui, réunit à Paris fin juin, a confirmé le retour du Pakistan sur une liste grise de pays sous surveillance.

Alors que le Pakistan Peoples Party – présidé par Bilawal Bhutto Zardari, le fils de Benazir Bhutto, et par l’ancien président (2008-2013) Asif Ali Zardari – ne paraît pas en mesure d’avoir un nombre significatif d’élus en dehors de la région du Sind, le principal bénéficiaire d’un recul éventuel de la PML-N, notamment dans son fief électoral du Pendjab, est le Pakistan Tehrik-i-Insaf (Mouvement pour la justice du Pakistan) d’Imran Khan.

L’ancienne star du cricket aurait enfin l’occasion d’accéder au poste de premier ministre et de mettre en œuvre sa promesse d’un « Naya Pakistan » (nouveau Pakistan). L’establishment militaire n’y serait pas opposé à moins que, faute de verdict électoral indiscutable, il lui préfère une personnalité moins flamboyante. Qui que soit le futur premier ministre, il aura la responsabilité de faire oublier une campagne électorale qui aura généré son lot d’aigreurs et la tâche, non moins ardue, de redresser les comptes publics.

Par Gilles Boquérat, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique.

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