Au Proche-Orient, la régression créatrice

Les pessimistes ont toutes les raisons de ne pas y croire. La première est que ces pourparlers qu’Israéliens et Palestiniens doivent bientôt rouvrir ne constituent pas une avancée mais une régression puisqu’ils ne s’y parleront pas directement, mais par l’entremise de George Mitchell, représentant spécial des Etats-Unis pour le Proche-Orient. Non seulement on paraît en revenir à l’époque où l’autre n’existait pas, mais les Palestiniens, second motif de pessimisme, n’ont accepté cette proposition américaine que pour aider Barack Obama à sauver la face. Il ne s’agit, pour eux, que de ne pas faire une mauvaise manière à un Président qui les soutient, mais a échoué à relancer le processus de paix et d’éviter, surtout, d’être tenus pour responsables d’un blocage dont on voit a priori mal comment il ne serait pas inéluctable.

Rien n’incite à l’optimisme mais le fait est aussi que, bien au-delà des postures diplomatiques, de leur commune obligation d’afficher une bonne volonté, Israéliens et Palestiniens avaient un urgent besoin de se reparler après les quinze mois d’interruption de leurs contacts officiels, suspendus depuis la guerre de Gaza. Pour l’Autorité palestinienne, ce statu quo ne pouvait pas durer parce qu’il risquait de déboucher sur une nouvelle intifada et une nouvelle victoire militaire israélienne, que le boom économique que la Cisjordanie connaît, aujourd’hui, grâce aux efforts de Salam Fayyad, le Premier ministre palestinien, en aurait été réduit à néant et que l’extrémisme en aurait été renforcé, non pas seulement celui du Hamas mais, également, celui des groupes encore plus radicaux qui tentent de le déborder à Gaza.

Cette situation n’était pas, non plus, tenable pour les Israéliens qui ont désormais pris conscience de la dégradation de leur image internationale, qui s’en inquiètent et ne gagneraient rien à devoir affronter une nouvelle vague d’attentats et à relancer leurs chars et leur aviation contre des lanceurs de pierres. Il y a, dans cette reprise des pourparlers, comme une once de bon sens, comme une crainte commune du triomphe de la déraison, mais ce n’est pas tout. Au-delà de la régression qu’ils traduisent, ces pourparlers indirects ont l’avantage de remettre les Etats-Unis en première ligne. Ils n’avaient inventé cette contorsion diplomatique que pour permettre aux Palestiniens de revenir à la table des négociations alors qu’ils s’y refusaient tant que les Israéliens n’auraient pas arrêté le développement de la colonisation dans les territoires occupés, y compris à Jérusalem-Est.

Les Américains n’ont fait que contourner un obstacle mais, pour y parvenir, ils ont dû s’engager à publiquement dire qui serait éventuellement responsable d’un nouveau blocage et réaffirmer, aux Palestiniens et à la Ligue arabe, que leur objectif était la création d’un «Etat palestinien viable, indépendant et souverain, bénéficiant d’une continuité territoriale et mettant fin à l’occupation commencée en 1967». C’est à l’aune, autrement dit, d’un retour négocié aux frontières de 1967 que les Etats-Unis jugeront de la bonne volonté des Israéliens qui se trouvent ainsi puissamment incités à proposer des solutions acceptables pour le partage de Jérusalem et les échanges de territoires qu’implique l’existence de leurs plus grandes implantations.

Cela ne garantit rien. S’il fallait parier aujourd’hui, ce serait sur l’échec que prédisent les pessimistes mais, en admettant même qu’il s’avère, il ouvrirait la voie au plan B des Palestiniens, à la proclamation unilatérale de leur Etat et à sa demande de reconnaissance par l’ONU à laquelle les Etats-Unis pourraient, alors, difficilement opposer leur veto.

Par la dynamique qu’elle ouvre, cette régression pourrait être d’autant plus créatrice que les choses ont beaucoup évolué en Israël. Depuis que Benjamin Netanyahou y a rallié le Likoud à la «solution à deux Etats», il n’y a plus de grand parti israélien pour refuser le principe de la création d’un Etat palestinien et ce nouveau consensus national, pour théorique qu’il soit, tient à deux raisons de fond. La première est qu’Israël craint moins, aujourd’hui, la naissance d’un Etat palestinien que la menace iranienne et ne veut donc pas laisser se dégrader ses relations avec Washington.

La seconde raison est qu’une part toujours croissante de la population finit par comprendre que, faute d’un Etat, les Palestiniens demanderont, un jour, à devenir citoyens d’Israël dont ils pourraient, ainsi, prendre les commandes par leurs votes, par la combinaison de la démographie et de la démocratie. Il y a l’impasse mais, derrière elle, il y a d’autres réalités, plus souterraines, moins visibles, presque imperceptibles, mais qui ne comptent pas moins.

Bernard Guetta, membre du conseil de surveillance de Libération.