Au Sahel comme ailleurs, l'usage du drone armé est-il légal et éthique ?

L'annonce faite le 22 février par les Etats-Unis du déploiement de 100 soldats au Niger pour installer et opérer une base de drones de surveillance et de drones armés, utilisés dans la détection et la destruction de bases terroristes au Mali, élargit encore un peu plus le rayon d'action de ces drones et le débat.

Washington a aussi offert aux autorités algériennes de leur transmettre les renseignements fournis par les drones, et le jour n'est pas loin où ceux-ci pourront être également déployés dans le désert algérien, pour être utilisés dans des opérations "contre-terroristes".

Le drone est devenu l'arme de choix du Pentagone, notamment sous la présidence de Barack Obama : il a été utilisé plus de 400 fois en quatre ans, avec un taux de "réussite" – fondé sur le nombre de cibles tuées – estimé entre 80 % et 95 %.

Petits aéronefs sans pilote téléguidés depuis des bases éloignées des zones d'intervention, les drones sont capables de voler des heures durant ; ils sont abondamment utilisés depuis une dizaine d'années – et leur contribution va croissant.

Et s'ils épargnent la vie des pilotes, ils ont "atteint" quelque 3 000 "terroristes présumés" et victimes "collatérales" civiles, qui ont été assassinés en dix ans.

Sur 335 attaques ainsi menées au Pakistan depuis 2004, on en compte 280 depuis 2009. Celles au Yémen sont également, depuis deux ans, en croissance importante – une centaine sur le territoire de ce seul pays, auxquelles il faut probablement ajouter 25 en territoire somalien.

UNE ATTAQUE DE DRONE TOUS LES QUATRE JOURS

D'une attaque par drone tous les quarante jours en moyenne sous George Bush, la norme sous Barack Obama est maintenant d'une tous les quatre jours. Tandis que l'armée de l'air américaine possédait une cinquantaine de drones en 2001, on en dénombre plus de 8 000 une décennie plus tard, et dans dix ans leur nombre pourrait atteindre 20 000.

L'armée de l'air forme aujourd'hui plus d'opérateurs de drones qu'elle n'entraîne de pilotes pour ses avions de chasse : les premiers accumulent désormais plus d'heures de vol que les seconds.

C'est tout dire de la révolution qu'entraîne l'arrivée des drones et de l'escalade de la guerre clandestine qui se poursuit sans fanfare ni débat public. Pourtant, leur utilisation est loin de faire consensus et soulève de nombreuses questions.

John Brennan, le directeur désigné mais non (encore) confirmé de la CIA, a été l'architecte depuis quatre ans des décisions sur le recours aux drones dans l'administration Obama – à titre de responsable de la lutte antiterroriste.

Il a toujours défendu l'idée, encore récemment dans sa comparution devant le Sénat américain, que les décisions sur les attaques par drones sont "ordonnées, réfléchies et prudentes" et effectuées dans le plus grand respect des lois, en ajoutant qu'elles sont "éthiques et morales". C'est éminemment discutable.

A commencer par ce qu'on appelle aux Etats-Unis une "opinion légale" – un avis favorable transmis par les avocats du ministère américain de la justice et contenant 50 pages servant à justifier la signature présidentielle pour valider chacune des attaques par drones – qui n'a été rendue publique qu'aux membres du comité sénatorial du renseignement.

Cette opinion donne la permission au président Obama de décider l'assassinat d'individus ciblés à des milliers de kilomètres de distance – y compris, au moins dans un cas, d'un citoyen américain –, la fameuse killist que doit signer chaque semaine le chef de la Maison Blanche, sur les recommandations de Brennan.

Pourtant, l'assassinat automatisé, déclenché à une hauteur de 30 000 pieds, diffère d'une opération militaire classique. S'il y a erreur de ciblage ou des destructions injustifiées, qui est responsable ? Qui sera coupable d'avoir commis un crime de guerre ?

Conséquemment, sur le plan éthique et légal, le recours aux drones échappe complètement à l'imputabilité et, surtout, aux conventions sur la conduite des guerres.

D'une part, la prise de décision est elle-même davantage mécanisée, en raison d'une automatisation accrue des systèmes de repérage et de destruction : ce sont le cas des "opérations signatures" qui ciblent une catégorie d'individus, par opposition aux "opérations personnalisées" contre un ou des individu(s) ciblé(s).

D'autre part, le droit international est muet devant l'utilisation des drones – une situation complexe en raison de la transgression aisée des frontières, sans détection et sans préavis, par ces aéronefs.

Parmi les questions laissées sans réponse, et pour lesquelles le recours aux drones dans le théâtre malien ne fera qu'accentuer le débat : quelles sont les procédures et quels sont les critères légaux qui autorisent les attaques de drones armés ?

Combien d'individus ont été tués, sur quelles justifications sont-ils sélectionnés et quelles mesures sont prises pour épargner la vie des civils ? Qui précisément, à la CIA et au Pentagone, met en oeuvre les attaques, et ces personnes sont-elles soumises dans les deux cas aux mêmes règles et critères (apparemment non) ?

Pourquoi les assassinats augmentent-ils quand la capture et la détention des terroristes semblent diminuer, a contrario de la stratégie de l'ancienne administration Bush ?

Evite-t-on ainsi de rouvrir le débat sur la traduction en justice de ces derniers ? Le motif principal du recours aux drones armés est de contrer une menace dite "imminente" , laquelle justifie le droit à "l'autodéfense".

Est-ce vraiment documenté et prouvé dans tous les cas ? Qui est responsable de juger les bavures et de sanctionner les coupables ? Comment fait-on alors pour distinguer, hors de tout doute, les fameux "combattants civils" des civils tout court ? Quels sont les principes de précaution qui s'appliquent ?

Dans la foulée de celles au Pakistan, en Afghanistan et au Yémen, toutes ces questions, encore laissées sans réponse, se poseront avec plus d'acuité encore dans les opérations à venir au Mali.

Charles-Philippe David, professeur de science politique

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