Au Venezuela, nette victoire de l'opposition

Une supportrice du Président Nicolas Maduro, à la fin de la campagne électorale, le 3 décembre 2015. Photo : Juan Barreto. AFP
Une supportrice du Président Nicolas Maduro, à la fin de la campagne électorale, le 3 décembre 2015. Photo : Juan Barreto. AFP

Les élections législatives du 6 décembre 2015, bien que gagnées très largement par l’opposition unie de la MUD (Table de l’unité démocratique) qui a obtenu les deux tiers des élus au Parlement, n’ont pas été une élection libre. Tout d’abord, si elles ont été finalement organisées, c’est avec trois mois de retard par rapport au terme institutionnel (les élections précédentes avaient eu lieu en septembre 2010, la durée du mandat étant de 5 ans) et sous la pression d’une grève de la faim illimitée entamée, sous le regard de la communauté internationale, par les prisonniers politiques vénézuéliens (au nombre de 75 parmi lesquels les plus connus sont des leaders de l’opposition de gauche comme Leopoldo Lopez et Daniel Ceballos de Voluntad Popular, ou Manuel Rosales fondateur de Un Nuevo Tiempo).

Par ailleurs, compte tenu de la nature foncièrement autoritaire du régime où le gouvernement se revendiquant «populaire» agit de façon arbitraire, en premier lieu, la liberté de candidature n’a pas été respectée puisque de nombreux leaders ont été empêchés par la voie judiciaire de se présenter. Il convient également de noter que la campagne électorale n’a pas été équitable puisque le parti au pouvoir bénéficie à la fois des ressources financières de l’État et d’un avantage considérable dans la presse.

D’une part en effet, cinq ministres ont financé leur campagne sur le budget de leur ministère (Ricardo Molina, Asdrúbal Chávez, Héctor Rodríguez, Haiman El Troudi et Aloha Nuñez), des achats de voix se font régulièrement grâce aux financements publics et les fonds du PSUV se confondent avec ceux du gouvernement en général. D’autre part, les chaînes publiques de télévision ne diffusent que de la propagande chaviste et les quelques chaînes privées sont soumises à des pressions et des chantages tels qu’elles discriminent elles-mêmes l’expression de l’opposition ; quant à la presse écrite très peu distribuée elle est soumise à des restrictions de papier drastiques.

Le pouvoir s’est aussi livré à des manipulations dénoncées par l’opposition mais toujours sanctifiées par le pouvoir judiciaire aux mains de l’exécutif. Ainsi, une alliance fantôme dénommée MUD comme l’alliance des partis de l’opposition démocratique a été homologuée reprenant à la MUD originale la couleur bleue et le pouce levé comme symboles. Dans une circonscription, un candidat homonyme de l’opposant Ismaël Garcia a été présenté sous les couleurs de cette pseudo-MUD. Et plus grave encore peut-être, deux partis ont été vidés de leur substance et raptés par le pouvoir : du fait que les partis politiques sont régis par la loi nationale (comme c’est souvent le cas en Amérique latine), le pouvoir judiciaire s’est immiscé dans la vie interne de Podemos (le parti d’Ismaël Garcia, ancien chaviste qui avait rejoint les rangs de la MUD dès 2010, provocant la colère du PSUV évidemment) et de la COPEI (parti historique de la démocratie-chrétienne), en a limogé les directions élues par les militants et désigné de nouveaux dirigeants sous-marins du chavisme.

Quant aux observateurs internationaux, de l’UNASUR, comme de l’OEA et de l’Internationale Socialiste, pour sa part, aux côtés des démocrates vénézuéliens depuis toujours, ils n’avaient pas été reconnus comme tels par le gouvernement et quelques tentatives de prolonger l’ouverture des bureaux de vote au-delà de l’heure légale de fermeture (18h) ont eu lieu. Mais rien de comparable à l’ampleur du phénomène lors de l’élection de Chavez en avril 2012 lorsque de nombreux bureaux étaient restés ouverts jusque tard dans la nuit pour permettre aux chemises rouges de ramener aux urnes des milliers d’électeurs potentiels du PSUV. Et globalement, la journée électorale s’est déroulée dans un grand calme, sans présence des chemises rouges chavistes à l’entrée des bureaux de vote et manifestant bruyamment dans les rues depuis 6h du matin.

Certes, le président Maduro faisait encore campagne le vendredi soir en direct à la télévision depuis la ville de Bolivar où il multipliait les promesses clientélistes (tandis que la clôture de la campagne nationale avait bien eu lieu la veille), mais rien de comparable non plus avec le discours fleuve de Chavez le matin même de sa dernière élection présidentielle, appelant expressément à voter pour le parti du peuple et son candidat, lui-même. Enfin, signalons que dans certains bureaux de vote comme dans le quartier de Miranda à Caracas, les présidents ont refusé de communiquer les résultats publiquement, rendant plus difficile la tâche aux militants du contrôle électoral parallèle mis en place par la MUD.

Il faut donc souligner le caractère non libre, par tous ces aspects, de l’élection législative. Si l’opposition a cependant gagné largement, c’est que le raz-de-marée anti-gouvernemental a submergé les fautes et avantages inéquitables du pouvoir. Mutatis mutandis, c’était le même type de phénomène pour le plébiscite de Pinochet en 1988 lorsque le Non avait gagné : l’élection n’était ni libre ni équitable, certains militaires ayant même voté dix fois dans différents bureaux de vote, mais le rejet de la possible candidature de Pinochet à sa propre succession a été telle, atteignant jusqu’aux rangs des anciens partisans du régime, que la vague du Non a surmonté le handicap frauduleux.

La MUD a pu gagner ces élections car depuis son lancement pour les élections législatives précédentes de 2010, elle n’a cessé de renforcer son unité et de voir grossir les rangs de ses partisans venus de tous les horizons, en particulier les déçus du chavisme de plus en plus nombreux au fil du temps. Dès 2010, l’opposition gagnait en nombre de voix mais n’obtenait pas la majorité des sièges au Parlement. La «machine à gagner» les élections financée par PDVSA (l’entreprise nationale du pétrole) a fonctionné à plein jusqu’à la mort de Chavez. Mais avec Maduro, le chavisme a perdu de son attraction à cause de la convergence de nombreux facteurs : notamment la baisse de moitié du prix du baril, le manque de charisme du leader, les tiraillements internes au régime, les fautes en matière économique et financière produisant une inflation galopante et des pénuries des biens de consommation les plus courants, une plus grande visibilité de la corruption, une augmentation de la violence criminelle et de la répression politique.

Seuls les fanatiques de la violence populaire, et les nostalgiques d’une révolution fantasmatique réanimant les mythes bolchevik et cubain, affirment encore que le chavisme est de gauche et conspuent l’opposition de la MUD comme étant une alliance de droite, voire même d’extrême-droite. Certes, il existe dans la MUD quelques figures, comme María Corina Machado, marquées à droite mais elles sont rares. Quant au candidat de la MUD à la présidentielle, Henrique Capriles, il était issu du plus grand des partis de l’alliance, Primero Justicia, parti de centre-droit issu de la démocratie-chrétienne décomposée, qui n’est pas à proprement parler un parti de droite. Et surtout, les trois partis de la MUD, membres de l’Internationale Socialiste, Acción Democrática, Voluntad Popular et Un Nuevo Tiempo totalisent 62 élus sur les 112 de la nouvelle assemblée (soit plus de la majorité). Que certains élus de la droite européenne profitent des élections au Venezuela pour faire leur publicité et redorer leur image de démocrates, cela ne fait pas de la MUD une alliance de droite. N’en déplaise aux «révolutionnaires», la MUD est globalement de tendance sociale-démocrate et démocrate-chrétienne, ouverte à la négociation et au compromis avec l’exécutif chaviste toujours en place, en vue d’une sorte de cohabitation en forme de transition négociée à la démocratie.

Renée Fregosi, philosophe et directrice de recherche en science politique, Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle.

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