Banksy ou la destruction créatrice (de valeur ?)

L'oeuvre de Bansky s'est auto-détruite après sa vente. Sotheby's
L'oeuvre de Bansky s'est auto-détruite après sa vente. Sotheby's

En préambule, démantibulons l’étymologie du pseudonyme de l’artiste de rue anglais qui vient d’autodétruire l’une de ses œuvres, tout juste achetée 1,2 million d’euros. Dans «Banksy», il y a «bank», alias «banque» en français, rappel que l’artiste anticapitaliste a des doigts d’or et a fait imprimer des billets à l’effigie de Lady Di au lieu d’Elisabeth II. Cette façon de battre monnaie renvoie à l’ambiguïté du dénonciateur du marché de l’art, détrousseur de spéculateurs mais aussi refondateur d’une économie divertissante de l’argent content.

Dans «Banksy», il y a aussi «ban» pour bannir et quasi «sky» comme ciel, celui où s’envole le ballon rouge en forme de cœur lâché par la petite fille ébouriffée. Ce personnage mignonnet d’une innocence surjouée est à la fois une personne déplacée, malmenée par les vents de l’histoire, et une héroïne en voie de muséification passée de pochoir mural à Mona Lisa avec moustaches explosives à mèche courte. Avant qu’au coup de marteau final, le tout-puissant auteur sans visage la lacère pour faire paniquer l’adjudicateur et s’esbaudir les badauds, sans oublier de faire monter sa cote symbolique, en un pied de nez ambivalent.

Le génie horloger. Il y a d’abord une jubilation voluptueuse à assister à ce happening au tempo parfait. Incapable d’anticiper, j’admire au plus profond les maniganceurs à long terme, les artificiers qui ont accumulé la poudre de leurs explosifs dès la nurserie, les joueurs d’échecs en barboteuse. Banksy aurait installé voici une dizaine d’années la déchiqueteuse horlogère. La légende nous raconte qu’il l’aurait insérée en secret dans le cadre rococo qui entoure d’une prétention vieillie son dessin infantile. Surtout, ce qui fascine c’est la précision du dispositif. A l’heure où, dans les ministères parisiens en attente de remaniement, on passe à la broyeuse les dossiers les plus compromettants, le street-artist antimilitariste qui sait si bien tacler la politique migratoire française se réinvente en Arsène Lupin.

Comme le gentleman cambrioleur, il a l’art de la dissimulation et le sens de la farce. Sans monocle, ni gants beurre frais, ce malicieux de la scène alternative, maraudeur des rues pour y encrer l’éphémère, est d’une ponctualité très organisée, à donner des boutons aux proscratinateurs qui pensent toujours avoir du temps à revendre pour refaire leur vie. Plaisantin au cortex très articulé, Banksy peut se gondoler d’avoir estomaqué une salle des ventes, déboussolé le personnel de Sotheby’s et fait des lanières de son œuvre tout juste adjugée.

Le destructeur récupéré. Le capitalisme du XXIe siècle est un recycleur hors pair. Il n’aime rien tant que faire du compost des rebelles en peau de lapin et des habiles retourneurs de veste en vison synthétique. Il a même la capacité de rattraper par les bretelles Banksy et ses amis, les durs des durs de la contre-culture, les libertaires fans de désobéissance civile comme les grapheurs qui bombent le torse face à la maréchaussée qui voudrait les emmurer. De tout cela, le système fait un pâté de têtes et un terreau bien aéré pour garantir des récoltes futures. Banksy a cité en modèle Picasso qui estimait que «tout acte de création est d’abord un acte de destruction». Il aurait aussi pu évoquer la destruction créatrice théorisée par l’économiste Schumpeter et que la société numérique accélère entre obsolescences programmées et mises à jour permanentes.

La preuve ? D’abord ahurie de s’être fait blouser, l’acheteuse a vite saisi l’opportunité. Car l’œuvre ne s’est pas volatisée, n’est pas partie en fumée. Le demi-attentat papetier est un excellent relais de croissance. En lamelles mais toujours là, la Petite Fille au ballon, ce qui n’a rien à voir avec le foot féminin, doublerait déjà son prix d’achat. D’autant qu’elle est devenue un moment de l’histoire de l’art à l’égal de la pipe de Magritte, de l’urinoir de Marcel Duchamp ou des soupes Campbell’s d’Andy Wharol.

Le délicat anonymat. Le refus de s’exposer est paradoxal dans un univers où beaucoup de créateurs rêvent d’être pendus aux cimaises. Quand on s’encapuchonne dans l’anonymat comme Banksy, cela devient aussi un argument de vente en creux. Cette stratégie dissimulée titille la curiosité d’une société de la transparence névrotique aux moyens d’élucidation multipliés.

Banksy, qui soutient les Palestiniens mais célèbre aussi les victimes des attentats du 13 novembre, endosse-t-il une burqa pour se soustraire à la curiosité générale, comme l’a fait pendant sa cavale le braqueur Redoine Faïd, tout juste chopé par la patrouille ? Ou alors porte-il un costume rayé de banquier de la City ? En tout cas, étonnamment, le mystère demeure et il est très rémunérateur en guise de notoriété pour ce Robin des bois taquin. Dont on peut rappeler qu’à ses débuts surréalistes, il taguait les zoos pour imaginer les revendications assez peu véganes des manchots fatigués de boulotter du poisson ou des éléphants saisis par l’ennui.

Luc Le Vaillant

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