Barack Obama va-t-en guerre et en Irak !

Dans les medias américains certains commentateurs chevronnés se demandent si le président Barack Obama n'est pas en train de se transformer devant nos yeux déconcertés en George W. Bush. La chaîne de télévision de droite Fox News s'est délectée en comparant le discours de M. Obama à la tribune de l'ONU justifiant sa décision d'intervention militaire à celui de George W. Bush au même endroit pour pareille action. En effet, les deux présidents ont mobilisé des propos semblables, apocalyptiques, imprégnés de la même grandiloquence morale. De plus, le cadrage de l'image à la tribune avec l'arrière plan de marbre gris montre les deux présidents habillés exactement de la même façon.

Mais les critiques d'Obama, aussi bien que ceux qui appuient sa décision, traversent l'éventail partisan. Ces critiques sont d'ordre stratégique, militaire et constitutionnel, voire les trois à la fois.

Sur le plan constitutionnel le débat porte sur la latitude des pouvoirs du président pour déployer les forces militaires sans déclaration de guerre formelle et solennelle. Comme dans toutes les démocraties, la responsabilité d'engager une guerre est un pouvoir partagé entre le législatif et l'exécutif. Néanmoins, jusqu'où peut aller un président en évoquant ses simples pouvoirs de commandant en chef des armées, sans en référer aux élus ? La dernière guerre constitutionnellement déclarée par le Congrès était la Deuxième guerre mondiale. Toutes les guerres américaines menées depuis l'ont été sans déclaration conforme à la Constitution.

Cependant, les élus ne se sont pas complètement effacés. La guerre du Vietnam a trouvé son légitimation légale à partir de « la résolution du Golfe du Tonkin », votée par les deux chambres, après des attaques par le Vietnam du Nord contre deux destroyers américains navigant dans les eaux vietnamiennes, attaques qui se sont avérées plus tard douteuses, voire même inexistantes. Cette résolution a été considérée comme « l'équivalent fonctionnel » d'une déclaration de guerre, en autorisant le président, « en tant que commandant en chef, à prendre toutes les mesures nécessaires pour repousser toute attaque armée contre les forces des États-Unis et à prévenir toute nouvelle agression ». Beaucoup d'élus ont par la suite regretté leur vote car le président Johnson a interprété le texte d'une façon très extensive pour en effet intervenir dans des proportions qui furent manifestement celles d'une guerre majeure. La Cour suprême, instance du contrôle de constitutionalité, refusa de décréter la guerre anticonstitutionnelle, en dépit les pétitions qui lui étaient adressées. Une fois le pays massivement engagé militairement, la Cour n'osa pas intervenir. Face à ce dérapage présidentiel, le Congrès reprit ses prérogatives en adoptant en 1973 le « War Powers Resolution » - une tentative de contraindre les futurs présidents à passer par le législatif avant d'engager des forces armées conséquentes. Cette résolution prévoit notamment l'obligation pour le président de notifier le Congrès 48 heures après un engagement militaire, et par la suite la nécessité d'obtenir une autorisation afin de poursuivre une intervention armée à l'étranger pendant soixante jours. Si, après ce laps de temps, les élus votent la fin de l'engagement, le président dispose encore de trente jours pour rapatrier les forces.

Un président peut, par conséquent, librement déployer les forces armées pendant 90 jours – avant d'être obligé de demander une continuation de l'autorisation, ou une déclaration de guerre. La constitutionalité du War Powers Resolution demeure controversée parmi certains constitutionalistes qui estiment que la loi empiète sur les pouvoirs du président dans sa fonction de commandant en chef des armées. Certains présidents dans un passé récent ont considéré qu'ils disposaient seuls du pouvoir de l'emploi des forces, sans mettre en œuvre cette résolution. Tel fut le cas, par exemple, du président Clinton en 1999, au cours de la campagne de bombardements au Kosovo. Le Congrès désapprouve de tels agissements, mais aucun n'a donné lieu à un recours en justice contre le président.

Aucun Congrès n'a voulu ajouter une crise constitutionnelle à une crise comportant un déploiement militaire. De surcroît, il semble que les élus préfèrent parfois ne pas être impliqués dans une décision sur l'emploi de la force. Mais en règle générale, depuis la guerre du Vietnam, les présidents trouvent politiquement avisés de consulter d'une façon ou d'une autre leur Congrès. Le président Obama a soumis au Congrès une décision de frapper le régime de Bachar Al-Assad à la suite de l'usage par ce dernier d'armes chimique contre son propre peuple, mais cette fois-là, la Maison Blanche attendait vraisemblablement un vote négatif afin de s'extraire d'un bourbier stratégique. L'exécutif a passé la « patate chaude » aux élus. Alors, quand Barack Obama n'a pas cru devoir demander d'emblée une autorisation législative pour ses interventions en Irak et en Syrie, l'accusation de l'incohérence et d'hypocrisie a été immédiatement portée contre lui. Le 23 septembre, M. Obama adresse une lettre aux deux chambres, dans laquelle il informe les élus des frappes ayant eu lieu la veille contre des cibles en Syrie, et invoque le War Powers Resolution – mais pas seulement.

Pour ne pas être complètement cantonné par cette dernière, il mobilise aussi ses pouvoirs constitutionnels de commandant en chef des armées, ainsi qu'une loi du 18 septembre 2001, « Authorization for Use of Military Force », qui a donné au président George W. Bush les mains libres de poursuivre Al-Qaïda et tout autre organisme terroriste affilié. Mais dans la mesure où l'Etat Islamique (EI) n'est pas associé à Al-Qaïda, qui est même en rupture avec lui, la portée de cette loi n'est pas considérée par certains juristes comme applicables à ces frappes. Le cas du groupe Khorasan [un groupe islamiste ultra-radical] est moins ambigü. Barack Obama évoque aussi la loi dite « Authorization for Use of Military Force Against Iraq Resolution of 2002». Mais puisque l'intervention actuelle n'est pas dirigée contre (against) l'État irakien en tant que tel, sa pertinence est aussi mise en question.

La position de Barack Obama est particulièrement surprenante, dans la mesure où, en tant que candidat à la présidence, il avait très clairement affirmé que le président ne pouvait pas entreprendre une guerre unilatérale sans l'aval du Congrès. En fin de compte, un déploiement militaire demeure éminemment politique. Les arguments juridiques et constitutionnels, quels que soient leur pertinence ou ambigüités, sont là pour appuyer une décision présidentielle. L'essentielle source de légitimité réside dans le débat et dialogue avec les élus et le peuple. Tous les présidents ont été plus au moins soucieux de la nécessité de cette discussion publique.

Steven Ekovich, professeur de sciences politiques à l'Université américaine de Paris.

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