Berlin et Paris, révisez vos liens avec les monarchies du Golfe

Alors que la tragédie de la crise des réfugiés bat son plein, il apparaît clairement que les conséquences des politiques européennes au Moyen-Orient avant et depuis le « printemps arabe » de 2011, se répandent maintenant en Europe. La France a été activement impliquée dans deux crises prenant place dans la région – la Syrie et la Libye. Pour cette dernière, c’est le gouvernement de Nicolas Sarkozy qui a mené les bombardements contre les forces de Mouammar Kadhafi, aux côtés de la Grande-Bretagne.

La chute du dictateur était méritée, mais les forces occidentales se sont retirées immédiatement après, sans aider la Libye à mettre en place un consensus post-Kadhafi. Les conséquences ont été dévastatrices. S’en est suivi l’essor de l’Etat islamique, issu des conflits en Irak et en Syrie, la pire manifestation d’une idéologie violente qui reçoit encore le soutien de plusieurs Etats du Moyen-Orient.

Les pays européens doivent participer à l’effort visant à remédier à ces problèmes et doivent, pour ce faire, remporter la guerre des idées opposant la démocratie et les droits humains à l’autoritarisme et la violence. Pour soutenir ces concepts au Moyen-Orient, ils doivent être prêts à faire front aux monarchies du golfe Arabo-Persique.

Les Etats du Golfe affirment être des alliés dans la bataille contre l’extrémisme, alors qu’ils ont alimenté la crise. Les alliances occidentales doivent reconsidérer le soutien qu’elles apportent à ces monarchies. La France et l’Allemagne sont maintenant les deux cœurs battants de l’Europe. Elles doivent toutes deux mettre en œuvre leurs valeurs.

J’écris depuis une prison de Bahreïn, où j’attends d’être jugé pour avoir critiqué le bombardement du Yémen par l’Arabie saoudite et pour avoir révélé les actes de torture commis dans les prisons de mon pays. Je risque pour cela quinze ans de prison. En septembre, quand j’ai écrit une lettre ouverte à l’administration des Etats-Unis, le gouvernement de Bahreïn a porté de nouvelles plaintes contre moi pour atteinte à la réputation du pays.

Mon procès n’a rien d’exceptionnel, il est ordinaire. Des milliers de Bahreïniens sont en prison pour avoir exprimé des critiques et manifesté contre le gouvernement. Des milliers d’autres ont été tués à travers le monde arabe pour avoir osé exercer leur droit à l’autodétermination. C’est profondément consternant.

Les partisans de la paix en prison

En 2011, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont envoyé des troupes à Bahreïn pour écraser les manifestants prodémocratie ; ces mêmes pays sont à l’origine d’une crise humanitaire au Yémen. La communauté internationale aurait pu s’opposer au rôle négatif joué par les monarchies du golfe Arabo-Persique à de nombreuses occasions depuis 2011, mais elle ne l’a pas fait. Le soutien européen accordé à l’Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis, à Bahreïn et à leurs alliés par le biais de co­opération en matière de sécurité et de ventes d’armes n’a fait que s’accroître.

Le comble de l’ironie, c’est que l’Arabie saoudite déclare se battre pour les Syriens en quête de libertés et pour le gouvernement légitime du Yémen, alors qu’il s’agit de l’une des dictatures les plus violentes du monde. Au lieu d’avoir été incités à punir les criminels de guerre, les auteurs d’atteintes aux droits humains et les partisans du terrorisme, les pays du Golfe se sont sentis encouragés par le silence de leurs alliés qui, ne voulant pas faire de vagues avec ces gros producteurs de pétrole, ont fermé les yeux sur l’écrasement par la force de civils et de manifestants innocents.

Au lieu d’ouvrir leur porte aux réfugiés, les monarchies du Golfe ont contribué à générer ces migrations. Au lieu de poursuivre en justice les personnes responsables des morts de civils au Yémen, ces pays mettent en prison des partisans de la paix et des militants des droits. Je ne suis pas le seul Bahreïnien à avoir été emprisonné pour avoir osé exprimer des critiques contre la guerre qui fait rage au Yémen : le dirigeant du parti politique Wahdawi, Fadhel Abbas, purge une peine de cinq ans de prison pour avoir qualifié la guerre d’inconstitutionnelle.

Une armée sectaire

Il existe des livres, publiés par le ministère de la défense de Bahreïn, qui prônent le meurtre des chiites qui ne se repentent pas. En quoi cela diffère-t-il des idéologies de l’Etat islamique contre lequel Bahreïn est censé se battre ? Les forces de défense de Bahreïn sont, de fait, une armée sectaire qui ne compte pratiquement pas de chiites dans ses rangs, bien qu’ils composent la plus grande partie de la population.

Après que l’Etat islamique a publié des vidéos montrant trois recrues ayant fui les forces de sécurité bahreïniennes, j’ai dénoncé ces dernières pour avoir permis à ces idéologies sectaires violentes de se répandre dans leurs rangs. Pour cela, j’ai été condamné à six mois de prison, et les autorités bahreïniennes refusent toujours de reconnaître le problème.

Il est en fin de compte impossible de venir à bout du terrorisme dans des pays comme le nôtre, où une personne ne peut exprimer pacifiquement ses opinions sans finir en prison.

Vous, la France et l’Allemagne, devez reconsidérer vos relations avec ces monarchies, qui œuvrent activement contre la démocratie et les droits humains et nourrissent les flammes de la violence et de l’extrémisme. La coopération en matière de sécurité et les ventes d’armes doivent aller de pair avec cette condition drastique : soit ces pays respectent les droits humains et le droit international, soit ils perdent ces relations privilégiées.

Cela doit être ainsi, faute de quoi les effets à long terme seront calamiteux. Car ces pays considèrent la démocratie et les droits humains comme une menace et condamnent ainsi notre région et le monde entier à la violence.

Par Nabil Rajab, militant bahreïni pour les droits de l’homme. Il a écrit cet article depuis sa cellule de la prison de Manama, à Bahreïn (arrêté en juin pour avoir dénoncé la participation de son pays à l’intervention au Yémen). Il risque une peine maximale de quinze ans de prison.

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