Biden et le risque d’une démocratie à parti unique

Dans son discours d’intronisation, Joe Biden a axé sa présidence sur « la cause de la démocratie » et l’union nationale. Après Trump et l’invasion du Capitole, « le chemin, c’est l’unité », déclara-t-il le 20 janvier, promettant d’« écouter » tous les Américains.

Or, Biden a déjà dévié de son engagement. Il n’a pas formé un gouvernement d’union nationale. Il n’a proposé aucun poste à des personnalités politiques hors du Parti démocrate. Il n’a sollicité aucun des républicains modérés susceptibles de contribuer à ce « chemin », comme le sénateur Mitt Romney ou l’ancien gouverneur Arnold Schwarzenegger. Biden n’a pas approché les deux candidats alternatifs ayant recueilli le plus de voix au scrutin présidentiel. Il n’a pas invité à la Maison-Blanche le sénateur Mitch McConnell, dirigeant de facto du Parti républicain.

Le parti du président a utilisé la procédure curieusement nommée en anglais « reconciliation » pour adopter son plan de relance à la majorité simple au Sénat, donc sans nécessité de chercher un compromis avec des républicains. Les démocrates envisagent la même manœuvre pour le plan d’infrastructures. L’usage répété de cette « reconciliation » qui n’en est pas une, longtemps décrié par le sénateur Biden, empoisonnera encore l’atmosphère.

Plus préoccupant : la démocratie américaine continue de glisser en pratique vers le paradoxe ultime, celui d’une démocratie… à parti unique.

La présidentielle de 2024

Pendant sa seule conférence de presse, le président a lancé avec ironie qu’il n’a « aucune idée s’il y aura un Parti républicain » à la présidentielle de 2024. Personne ne devrait se réjouir de la disparition de l’un des partis dominants, qu’on déteste ce parti ou pas. Certainement pas le président, garant de la Constitution. Avant son intronisation, Biden avait pourtant semblé saisir le problème. « Nous avons besoin du Parti républicain », avait-il dit. La subsistance de celui des deux partis qui incarne l’opposition à un moment donné est cruciale.

C’est en effet la faillite fondamentale des partis républicain et démocrate d’avoir forgé un système bipartite d’une rigidité telle qu’une nouvelle formation ne peut grandir assez vite pour remplacer un parti dominant. C’est pourquoi Trump renonce à son projet de « Parti patriote » et essaie de continuer à cannibaliser le Parti républicain de l’intérieur.

Pour Jo Jorgensen, candidate du Parti libertarien en 2020, qui, malgré ce rouleau compresseur, obtint environ deux millions de suffrages, les États-Unis sont « déjà une démocratie à parti unique ». « Depuis les années 1970, démocrates et républicains s’entendent pour renforcer le gouvernement fédéral », me dit-elle.

Un Parti démocrate ultradominant

Pour Howie Hawkins, le candidat des verts, la démocratie à parti unique est un risque réel aux États-Unis. « On s’oriente vers un régime à parti unique dirigé par les démocrates, surtout si l’establishment économique ne reprend pas le contrôle du Parti républicain », me confie-t-il. La perspective est celle de l’émergence d’un Parti démocrate ultradominant dans le paysage politique. Émergence appuyée par les GAFAM et autres big corporations, dont la majorité des grands médias. Émergence aidée par le manque d’audace de l’aile gauche, qui avale des couleuvres comme l’absence, dans la politique et l’équipe Biden, d’un système universel et public de santé, d’une interdiction de la fracturation hydraulique ou de ministères pour les grandes figures « progressistes », tandis que certaines victoires de l’aile gauche renvoient à des décisions déjà voulues ou prises par Trump (chèques supplémentaires d’assistance post-COVID aux ménages ou retrait total de l’Afghanistan).

Le Parti démocrate, qui a abandonné toute ambition de convergence des luttes entre Blancs pauvres et minorités ethniques, devient la « grande tente », improbable, sous laquelle se retrouvent multinationales, bourgeoisie technocrate mondialisée, minorités et jeunes anticapitalistes. À l’évidence, l’évolution vers une « démocratie » à parti unique est dangereuse. On le voit déjà.

Trop d’égards des médias

Biden est traité avec trop d’égards par les médias américains. Les aspects gênants de sa présidence ne sont pas assez scrutés : la crise des migrants à la frontière sud, la fragilité personnelle du chef d’État, l’accès restreint des médias au président, la proximité de parents et de collaborateurs du président avec les milieux d’affaires ou la continuité avec Trump sur certains dossiers. Rompant avec la tradition républicaine (au sens noble du terme), Biden se prononce dans une affaire judiciaire avant le verdict, celui contre Derek Chauvin, reconnu coupable du meurtre de George Floyd.

Biden est arrivé au pouvoir avec 55,5 % de soutien, en moyenne des sondages. C’est beaucoup plus que Trump au même stade, mais moins que la plupart de ses autres prédécesseurs. Depuis, le taux de satisfaction envers Biden a baissé de 2,5 points et celui des mécontents a grimpé de 5,5 points.

Biden perd surtout du terrain chez les électeurs indépendants, qui sont désormais 70 % à réclamer un troisième grand parti, comme 63 % des républicains et même 46 % des démocrates. Au total, 62 % des Américains jugent aujourd’hui que les partis républicain et démocrate « représentent si mal le peuple qu’un parti tiers est nécessaire ». Un record depuis 2003, quand Gallup commença à sonder les gens sur cette question. Pourtant, le rêve américain d’une offre politique nouvelle est plus éloigné et le cauchemar d’une démocratie à parti unique, plus proche que jamais. Biden doit donc renouer avec son discours d’intronisation et faire de l’union nationale l’axe véritable de sa présidence.

Marie-Christine Bonzom, politologue, spécialiste des États-Unis, ancienne journaliste à la BBC et à Voice of America, a été correspondante du «Devoir» à Washington jusqu’en 2018.

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