Biodiversité des espaces maritimes : des discussions au ralenti

Les Etats se sont réunis durant les deux dernières semaines d’août au siège de l’Organisation des Nations unies à New York, pour discuter de l’adoption et du contenu d’un traité dédié à la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les zones situées «au-delà des limites de la juridiction nationale», à savoir la haute mer et les grands fonds marins internationaux. Ces espaces couvrent presque la moitié de la surface de la terre et 64% de celle des océans. Le champ d’application substantiel et spatial du futur accord est donc immense, ce qui en annonce l’importance environnementale, économique et géopolitique.

Ces espaces ne sont pourtant pas, à l’heure actuelle, des zones de non droit. En effet, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, considérée comme la «Constitution des océans», s’y applique entièrement et oblige déjà les Etats parties (168 Etats, les Etats-Unis ne l’ont cependant pas ratifiée), depuis son entrée en vigueur en 1994, à protéger le milieu marin et exploiter ses ressources de manière durable. Mais force est de constater que ces obligations sont, faute de précision sur la manière de les mettre en œuvre mais aussi et surtout du fait de la difficulté de contrôler les activités en mer, très peu appliquées en pratique. Dans le même temps, les progrès techniques permettent de réaliser des activités dans des zones de plus en plus profondes et reculées. L’accord négocié vise ainsi essentiellement à préciser et à renforcer les obligations qui pèsent sur les Etats dans ces espaces et à les adapter aux nouvelles possibilités et préoccupations.

Aires marines protégées

Les quatre thèmes qui sont principalement négociés pour le futur accord sont les suivants : d’abord, la création d’un cadre juridique permettant la désignation d’aires marines protégées en haute mer, celles-ci ne pouvant aujourd’hui être créées que très difficilement à l’échelle internationale (comme l’a notamment montré la création de l’aire marine protégée en mer de Ross en Antarctique en 2016). Ensuite, la mise en place d’un régime relatif à l’accès aux ressources génétiques marines dans les espaces internationaux et aux modalités de leur exploitation, ces gènes étant à l’origine de découvertes particulièrement prometteuses, en matière médicale par exemple. Le troisième élément discuté concerne les modalités de mise en œuvre de l’obligation de réaliser des études d’impact environnemental lorsque les Etats conduisent des activités en haute mer ou dans les grands fonds marins. Enfin, le quatrième thème concerne les questions relatives au renforcement des capacités des pays en développement et au transfert de technologies marines à ces derniers, par les pays développés.

Ces quatre thèmes principaux sont transcendés par plusieurs questions à la fois fondamentales et particulièrement controversées : les modalités et le degré de coopération interétatique dans des espaces communs, la possibilité de s’approprier librement les ressources de ces espaces et d’en tirer des bénéfices pour les pays disposant des technologies nécessaires, le rôle des organisations internationales et l’étendue de leurs pouvoirs, ou encore, et surtout, la division économique, politique et quelque peu anachronique persistante entre «pays développés» et «pays en développement». La notion d’équité, à la fois intra et intergénérationnelle, est en effet au cœur du débat. Ce sont, finalement, les dimensions environnementale et économique du développement durable qui se retrouvent étriquées dans ces négociations, ces deux dimensions étant à la fois indissociables et difficilement conciliables.

Urgence climatique

Le troisième cycle de négociation qui vient de s’achever a permis aux Etats de discuter et d’affiner un projet de traité regroupant les propositions précises et concrètes relatives aux quatre thèmes évoqués précédemment. Certaines avancées sont à souligner, comme sur la création d’une conférence des parties et d’un mécanisme d’échange d’informations. Cependant, de nombreux désaccords persistent, notamment sur l’épineuse question du partage des bénéfices tirés de l’exploitation des ressources génétiques. Sur ce point, si les «pays en développement» défendent toujours l’application d’un «principe de patrimoine commun de l’humanité», inspiré du régime qui s’applique à l’exploration et l’exploitation des minéraux des grands fonds marins internationaux, les pays «développés» prônent un système souple qui découlerait du principe coutumier de liberté d’accès et d’utilisation qui s’applique à la haute mer.

La Conférence intergouvernementale a par ailleurs été marquée par la présence très importante de la société civile, avec les nombreuses ONG qui suivent activement et utilement ce sujet depuis le lancement des discussions au milieu des années 2000, dont l’UICN, Greenpeace, le WWF ou encore the High Seas Alliance, mais aussi des personnalités publiques venues tenter de sensibiliser les représentants des Etats dans un contexte d’urgence climatique et de «sixième extinction de masse de la biodiversité marine et terrestre», comme l’acteur Javier Bardem. C’est l’Union européenne, au sein de ces discussions, qui représente ses Etats membres (ces derniers s’accordent en amont), au nom de sa compétence exclusive en matière de conservation des ressources biologiques de la mer.

Une quatrième et dernière session de deux semaines est prévue du 23 mars au 3 avril 2020, avant que la Conférence intergouvernementale présente ses travaux à l’Assemblée générale de l’ONU à l’automne 2020. Certains Etats ont cependant déjà envisagé qu’une cinquième réunion soit nécessaire avant de s’en remettre à l’Assemblée générale, témoignant du fait que la route pourrait s’avérer encore longue et sinueuse avant que les Etats ne parviennent à atteindre le consensus quant à l’adoption et le contenu d’un futur traité relatif à la biodiversité des espaces maritimes internationaux.

Pascale Ricard, docteure en droit, chargée de recherches au CNRS.

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