Bolivie: l’immense désillusion

Le dimanche 22 février, le gouvernement bolivien organisait un référendum visant à valider la proposition gouvernementale de modification de la Constitution afin de permettre au président d’effectuer trois mandats successifs au lieu de deux actuellement. Quelques jours plus tard les résultats tombaient et un «non» trébuchant sortait des urnes. Depuis, ce vote est présenté, aussi bien en Bolivie qu’à l’étranger, comme un vote sanction contre le président au pouvoir: Evo Morales, ancien syndicaliste d’origine d’aymara, au pouvoir depuis 2006.

La colère gronde face au gouvernement

Or, si le président et son gouvernement ont été récemment éclaboussés par divers soupçons plus ou moins vérifiés de corruption et trafic d’influence, la colère qui gronde face au gouvernement Morales est loin d’être récente. Alors que la Bolivie apparaît aux yeux du monde comme le «laboratoire d’un monde meilleur pour les Indiens et la Nature» (lire à ce sujet l’étude de Laetitia Perrier-Bruslé, Le conflit du Tipnis et la Bolivie d’Evo Morales face à ses contradictions : analyse d’un conflit socio-environnemental. sur EchoGéo) – image renforcée suite notamment à l’intervention d’Evo Morales lors de la dernière conférence sur le climat (COP 21) à Paris en en décembre 2015 et sa diffusion dans les médias européens – à l’interne, c’est la déception et l’insatisfaction qui règnent, notamment dans le domaine des politiques environnementales. Nous proposons donc d’y revenir brièvement.

Evo Morales, le chantre du changement, vraiment?

Evo Morales s’est fait le chantre du «changement» de la Bolivie au travers notamment d’un processus dit de «décolonisation» de l’Etat qui dénonce toute forme d’emprunt culturel occidental et veut revaloriser les formes culturelles et organisationnelles pré-coloniales. La notion de «Vivir Bien» (Bien Vivre), apparaît comme clé au sein de ce processus de transformation et comme un symbole de développement «alternatif». Elle trouve son origine dans les cosmologies indigènes andines et se définit comme promouvant, entre autres, l’harmonie et la complémentarité entre l’homme et la nature.

Cette notion de bien vivre s’inscrit donc à merveille dans la volonté de décolonisation du gouvernement Morales et a permis l’inscription des droits de la Nature (aussi référée en tant que Terre-Mère) au sein de la nouvelle Constitutions de 2009. Autre notion clé de ce processus de décolonisation et inscrite dans la nouvelle constitution: les autonomies indigènes. Les peuples originaires se voient ainsi reconnus le titre de nation, au sein de l’Etat Plurinational de Bolivie, l’autodétermination et l’autorité sur leur territoire et la gestion des ressources naturelles qui y sont situées.

Une logique économique extrativiste

Or, en parallèle de ces références récurrentes au respect des peuples et cultures autochtones, au Vivir Bien en harmonie avec la nature, Morales promeut depuis son arrivée au pouvoir, une logique économique extractiviste – au sens d’un modèle économique fondé sur la (sur) exploitation de ressources naturelles. Certes, la rente provenant notamment de l’exploitation des hydrocarbures et des minerais est redistribuée par le biais de la création d’infrastructures publiques dans les domaines de la santé, de l’éducation ou des transports. Mais c’est au prix d’une re-primarisation de l’économie bolivienne et d’une dépendance plus accrue aux marchés internationaux de ces matières.

Formellement, le gouvernement bolivien prétend que l’adoption d’un tel modèle extractiviste n’est que temporaire, jusqu’à la réalisation d’un certain «niveau de développement» (qui n’est, au demeurant, jamais défini). Mais ces pratiques d’exploitation des ressources naturelles, n’apparaissent pas moins en contradiction avec le discours de protection de la Nature formulé par le gouvernement et les attentes de reconnaissance qu’il engendre. Cette contradiction fut explicitement révélée, lorsque, en 2011, le gouvernement national imposa la construction d’une route traversant le «Territoire Indigène et Parc National Isiboro-Secure» (TIPNIS).

Cet événement engendra des protestations et des marches, auxquelles le gouvernement répondit par la violence. Morales justifia son action en se référant au «développement» des régions concernées et de la Bolivie tout entière, par la création d’infrastructures, même contre le gré des habitants et en dépit de la reconnaissance de l’autonomie des nations indigènes, inscrite dans la nouvelle Constitution. Dans son effort de décrédibilisation des opposants autochtones à la route du TIPNIS, le gouvernement bolivien n’a pas hésité à les stigmatiser comme des «entraveurs» du développement national, rappelant en son temps la rhétorique moralisatrice des «ennemis de la Nation», sans en employer directement les termes. Le discours de décolonisation et de Bien Vivre semble alors appartenir au passé ou à la justification purement rhétorique.

On suit l’Occident

Au lieu de proposer un modèle de développement alternatif, la politique menée par le gouvernement bolivien a plutôt tendance à prolonger le modèle de développement occidental, basé sur la substituabilité du capital naturel et sa transformation en capital humain et physique. Bien loin de «changement» et de rupture, c’est plutôt la continuité des structures de pouvoir coloniales de domination de la nature et des peuples indigènes, renforcées sous les gouvernements précédents, qu’assure le gouvernement d’Evo Morales.

Ces contradictions sont aujourd’hui de plus en plus saillantes et dénoncées en Bolivie. Elles alimentent les opposants au gouvernement, parmi lesquels on retrouve pêle-mêle des représentants de l’élite libérale, de mouvements écologistes, mais aussi des représentants de peuples autochtones, visiblement insatisfaits par le «changement» de la Bolivie tel que «proposé» par le gouvernement.

Reste à savoir si le vote «sanction» du 22 février est capable de rappeler au gouvernement que la constitution approuvée démocratiquement en 2009 devrait être bien plus qu’un outil de légitimation et la nécessité d’agir en conséquence durant les quatre années de mandat restantes.

Florence Bétrisey, doctorante en géographie, Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne.

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