Bolsonaro a su jouer la carte de la psychologie de masse

Lors de cette campagne électorale marquée par des violences, fort d’un soutien populaire, Jair Bolsonaro n’a pas condamné ouvertement les excès de ses électeurs. Comptant sur l’emprisonnement de son rival, Lula da Silva, privé de toute possibilité de donner des entretiens aux médias, le candidat de l’extrême droite a su jouer la carte de la « psychologie de masse » en faisant allusion, entre autres, au danger communiste, en plein ordre international post-guerre froide.

L’un des aspects très importants de sa campagne, a été l’usage des nouvelles technologies (notamment l’application WhatsApp) qui lui a permis de diffuser son message et des informations aussi bien vraies que fausses.

La « banalisation du mal » dans une société profondément inégalitaire et habituée à la violence a certainement constitué un facteur-clé dans l’émergence de l’extrême droite et le soutien accordé à la promesse de Bolsonaro de libéraliser le port d’armes. Même si les causes de l’insécurité publique sont loin d’être sans contradictions, une bonne part de la société brésilienne semble avoir accepté la simplification qu’en a donnée Bolsonaro. Se présentant comme le candidat anti-système par excellence, il s’est gardé de mettre en évidence ses vingt-sept années d’expérience au Parlement.

Polarisation croissante

Le nouveau président du Brésil répond parfaitement aux indicateurs d’un comportement de type autoritaire tels que définis par Steven Levitsky et Daniel Ziblatt (How Democracies Die, 2018, non traduit) : le refus des règles du jeu démocratique, le dénie de la légitimité des adversaires politiques, l’intolérance et la non-condamnation de la violence, ainsi que la prédisposition à réduire les libertés civiles et politiques des minorités, de l’opposition et des médias.

Dans une société où la polarisation est croissante, où les conflits distributifs coexistent avec des privilèges ; où la lutte contre la corruption est devenue une affaire de perception morale et non institutionnelle ; où la criminalisation du politique coïncide avec une culture politique autoritaire, où la fin de la dictature n’a pas connu une justice de transition comme dans d’autres pays de la région, la reconstruction des normes de tolérance mutuelle sera longue afin d’éviter que la démocratie brésilienne ne s’érode davantage.

Les élites et les partis politiques, le judiciaire et le ministère public auraient pu jouer un rôle plus déterminant pour que l’issue de cette élection soit différente. En 2016, les conservateurs autrichiens ont soutenu le candidat des Verts afin d’éviter l’élection de Norbert Hofer, candidat du parti nationaliste FPÖ. En France, en 2002 les socialistes ont soutenu Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen, de même que, en 2017, François Fillon a soutenu Emmanuel Macron contre la candidate du Front national.

Un large front républicain impossible

Au Brésil, un large front républicain n’a pas été possible : l’ancien président Cardoso et le candidat Ciro Gomes (troisième à l’issue du premier tour) n’ayant pas fermement soutenu Fernando Haddad du Parti des travailleurs (PT). Le système judiciaire s’est en partie reconverti en arme politique, et son ambivalence a démontré la fragilité des institutions républicaines.

Lors de son premier discours, à l’issue de sa victoire, Jair Bolsonaro a promis de faire du Brésil une « grande nation » ouverte à la coopération avec les pays les plus avancés, bien loin donc de la défense des relations Sud-Sud et de l’intégration régionale des années Lula. S’agit-t-il de l’ébranlement du pouvoir de séduction brésilien en matière de relations internationales ? Y aurait-il un risque de déstabilisation régional, voire de conflit avec le Venezuela ?

Dans un monde où l’autoritarisme et les menaces à la démocratie gagnent du terrain, suivre de près l’évolution du gouvernement Bolsonaro est devenu une tâche qui n’est pas exclusivement intellectuelle.

Carlos Milani enseigne à l’Institut d’études sociales et politiques à l’université de Rio de Janeiro (Brésil).

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