Bombardement de la Syrie: le droit international bafoué

Un soldat syrien filme les dégâts provoqués dans un centre de recherche scientifique ayant été la cible des tirs de missiles des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni en représailles à une attaque chimique attribuée à l’armée syrienne. Damas,… © Hassan Ammar
Un soldat syrien filme les dégâts provoqués dans un centre de recherche scientifique ayant été la cible des tirs de missiles des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni en représailles à une attaque chimique attribuée à l’armée syrienne. Damas,… © Hassan Ammar

Certains se sont prononcés en faveur des récentes frappes aériennes contre des sites présumés de production et de stockage d’armes chimiques en Syrie. Ceci sans s’appesantir sur les aspects juridiques. Quel que soit l’avis que l’on se fasse de leur utilité immédiate et de leur légitimité politique ou morale, on ne saurait ignorer que ces attaques constituent une violation manifeste de l’interdiction de la menace et de l’usage de la force, ancrée à l’article 2 de la Charte des Nations unies. Elles ne pourraient se justifier qu’en cas de légitime défense ou d’autorisation par le Conseil de sécurité – ce qui n’est ici pas le cas.

Lors de frappes similaires menées en avril 2017, Donald Trump n’avait pas même tenté de se justifier, confirmant le peu de cas qu’il fait du droit international. Cette fois, les Etats intervenants n’ont pas fait front commun sur ce plan et chacun y est allé de son grain de sel, trahissant ainsi la faiblesse de leur position.

La France soutient que la résolution 2118 lui permet d’agir, en quelque sorte par substitution du Conseil de sécurité. Pour rappel, ladite résolution a été adoptée le 27 septembre 2013 dans le contexte de l’engagement pris par Bachar el-Assad de ne pas utiliser d’armes chimiques et de détruire les stocks existants. Le Conseil menaçait alors de prendre d’autres mesures en cas de non-respect par la Syrie. On sait que celle-ci a plusieurs fois violé la résolution et que le Conseil s’est avéré incapable de remédier à la situation – ce que l’on ne peut que déplorer. Mais cela ne saurait conférer à un Etat agissant seul le droit de contourner les procédures onusiennes. De tels arguments avaient d’ailleurs été rejetés avec fermeté par la France lors de l’invasion de l’Irak en 2003.

Au nom de l’intérêt national

Quant au Royaume-Uni, il se prévaut d’un prétendu droit d’intervention humanitaire. Or un tel droit, reconnu par une poignée d’Etats, n’est pas compatible avec la Charte. Il a été clairement rejeté par l’Assemblée générale. Selon Dapo Akande, professeur à l’Université d’Oxford, l’argument ne convainc guère, même si l’on acceptait l’existence d’un tel droit. En effet, les frappes ont eu lieu après les faits et dénotent ainsi une intention punitive plutôt que préventive – malgré les déclarations d’intention à cet effet. Après avoir tracé une «ligne rouge» et proféré des menaces, le président Emmanuel Macron et ses alliés sont avant tout soucieux de leur crédibilité. En outre, la décision ne repose pas sur le constat d’une «détresse humanitaire extrême» par la communauté internationale. Au contraire, elle a eu lieu avant le déploiement des enquêteurs internationaux, alors que les faits restent controversés. Finalement, on peut s’interroger sur le choix de l’inaction face aux bombardements indiscriminés par le biais d’armes conventionnelles, et de l’intervention en cas d’emploi d’armes chimiques. La raison est sans doute à chercher dans la vulnérabilité des Etats occidentaux face aux armes chimiques; ceux-ci ont donc un intérêt à éviter leur prolifération.

Or c’est bien au nom de l’intérêt national que la première ministre Theresa May et le président Donald Trump prétendent justifier les frappes. Selon la représentante des Etats-Unis au Conseil de sécurité, la diplomatie ayant échoué, il devenait légitime de recourir à la force militaire. Il y aurait donc épuisement de l’obligation de régler les différends pacifiquement, ce qui ouvrirait la voie à l’usage de la force militaire: après le temps des palabres, le temps des missiles… Un tel argument ne saurait être admis sans rendre totalement inopérants l’interdiction du recours à la force et le système de sécurité collective.

Violation de la Charte

Cette indigeste bouillabaisse d’arguments, dont certains s’avèrent mutuellement contradictoires, ne rend que plus évidente l’illégalité des frappes, qui peuvent être qualifiées de représailles armées, en violation du droit international. Cet acte d’agression caractérisé ouvre le droit pour la Syrie de riposter par la force de manière proportionnée, au besoin avec l’assistance de ses alliés dans le cadre du droit de légitime défense collective.

Toutes ces tentatives de justification ont en commun leur caractère unilatéraliste. Comme le remarque Olivier Corten, professeur à l’Université libre de Bruxelles, elles s’apparentent à la pratique du XIXe siècle: «On revient à l’idée que les grandes puissances peuvent unilatéralement faire de la justice privée au nom de leur propre conception de ce qu’il faut faire ou pas.» Il ne fait aucun doute que les rivaux des Etats occidentaux ont pris note de ce précédent et qu’ils n’hésiteront pas à l’invoquer, si l’occasion se présente.

Les efforts en vue de substituer un système de sécurité collective à l’anarchie belliqueuse seraient-ils sur le point d’être balayés? Pour éviter une telle dérive, il serait temps que la majorité silencieuse des Etats, à commencer par la Suisse, dénonce fermement et de manière non sélective les violations de la Charte. Il ne s’agit pas de prendre fait et cause pour l’un ou l’autre camp, mais de s’engager pour le maintien d’un système qui, malgré ses évidentes faiblesses, a le mérite d’exister et qui vaut sans doute encore mille fois mieux que l’anarchie totale et la loi du plus fort.

Etienne Henry est postdoctorant au bénéfice d’une bourse du Fonds national suisse et chercheur visiteur à l’Université nationale d’Australie.

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