Bonne nouvelle d'Asie du Sud

Une fois n'est pas coutume, de bonnes nouvelles émergent d'Asie du Sud, l'une des régions les plus troublées de la planète. De la guerre en Afghanistan à la rivalité historique entre l'Inde et le Pakistan (deux Etats nucléaires) en passant par la lutte d'influence entre l'Inde et la Chine (autre puissance nucléaire), les foyers de crise n'y manquent pas. Ils se nourrissent même mutuellement dans une spirale triangulaire alimentant une inquiétante course aux armements.

Le Pakistan aurait déjà accumulé une centaine d'armes nucléaires. L'Inde, de son côté, s'impose désormais comme le premier importateur d'armes au monde. Illustration de son obsession chinoise, New Delhi a effectué avec succès, jeudi 19 avril, un tir d'essai d'un missile de longue portée. Le message est adressé à son grand voisin au nord de l'Himalaya.

Dans ce contexte stratégique chargé, une certaine détente se dessine pourtant sur le front indo-pakistanais. Le président pakistanais, Asif Ali Zardari, s'est rendu le 8 avril à New Delhi où il a rencontré le premier ministre indien, Manmohan Singh. La visite n'était certes que "privée". Il s'agissait néanmoins de la première fois en sept ans qu'un chef de l'Etat du Pakistan traversait la frontière, cette fameuse césure infligée par la sanglante partition de l'empire britannique des Indes en 1947. Il s'agissait surtout de la première après l'assaut de djihadistes pakistanais sur Bombay de novembre 2008 (166 morts) qui avait placé l'Inde et le Pakistan au bord d'un nouvel affrontement.

Quatre guerres ont déjà opposé les deux Etats rivaux (1947, 1965, 1971, 1999). Leur principal contentieux : le Cachemire, litige non soldé de la partition.

Jusqu'à présent, toutes les tentatives de régler cette question cachemirie ont échoué. Le Pakistan continue de revendiquer comme sien cet Etat à majorité musulmane de l'Union indienne. Et l'Inde n'est sûrement pas prête à s'amputer de ces stratégiques hauteurs himalayennes tenues pour possession légitime. En dépit de cette antinomie doctrinale, les années 2005-2006 avaient vu éclore une certaine audace diplomatique, en particulier sous l'impulsion du général Pervez Musharraf, alors à la tête du Pakistan. Il était question de multiplier les liens humains et commerciaux entre les deux parties du Cachemire afin de rendre la frontière non pertinente ("irrelevant"). Le rêve de paix ne dura pas longtemps. La déchéance de Pervez Musharraf à partir de 2007 brisa l'élan et l'attaque de Bombay réveilla les faucons des deux côtés.

Quand l'impasse est totale sur le fond, l'Inde et le Pakistan recourent en général à une ruse tactique pour renouer le contact : la "diplomatie du cricket" (cricket diplomacy). Cette fois, le président Zardari a exploré une autre voie : la "diplomatie du lieu saint" (shrine diplomacy). Au Rajasthan indien, le chef de l'Etat pakistanais s'est recueilli dans le sanctuaire du saint soufi Moinuddin Chishti. Le message n'est donc pas seulement qu'il a franchi la frontière. Il est aussi dans l'hommage éclatant qu'il a rendu au soufisme, tradition musulmane éclairée et syncrétique à laquelle l'islam d'inspiration salafiste et wahhabite - celui des talibans pakistanais - a déclaré la guerre. Le symbole est puissant.

Serait-on en train de revenir à la fameuse hardiesse diplomatique des années 2005-2006 ? Il est encore trop tôt pour juger. Mais il y a un point commun : la volonté de relancer un dialogue sur des bases pragmatiques. Du côté d'Islamabad, le Cachemire n'est plus brandi comme une priorité absolue. Et à New Delhi, l'exigence du "démantèlement des structures terroristes" au Pakistan, qui avait dominé le discours indien après l'assaut de Bombay, n'est plus présentée comme une précondition. Ce qui n'empêche pas les Indiens de continuer à réclamer la traduction en justice d'Hafiz Saeed, le chef du Laskhar-e-Toiba - organisation islamiste pakistanaise basée à Lahore - et commanditaire présumé de l'attaque de Bombay.

Pour l'heure, un sujet fournit la matière à la reprise du dialogue : le commerce bilatéral. Chaque capitale affiche sa volonté d'assouplir les réglementations corsetant les importations et les investissements transfrontaliers. Le Pakistan est particulièrement demandeur en raison de l'état calamiteux de son économie. Son isolement international aggravé par le divorce diplomatique avec les Etats-Unis ajoute à l'urgence. Le problème est que le président Zardari ne détient pas tous les leviers du pouvoir au Pakistan. L'armée y demeure prépondérante en dépit de la récente érosion de son hégémonie. Acceptera-t-elle un réchauffement du lien avec l'Inde rivale, dont la menace dramatisée a toujours servi à justifier les privilèges de la caste des prétoriens ? Là est la vraie interrogation.

Le 18 avril, le général Ashfaq Kayani, chef d'état-major de l'armée pakistanaise, y a apporté une réponse encourageante. "On ne peut pas dépenser seulement sur la défense en oubliant le développement", a-t-il dit. Les lignes sont assurément en train de bouger sur le front indo-pakistanais. Et quand on sait que l'Inde et le Pakistan ont souvent "délocalisé" leur rivalité à Kaboul, on peut toujours espérer que le théâtre afghan y trouve une source de répit. Les bonnes nouvelles d'Asie du Sud sont trop rares pour qu'on les boude.

Par Frédéric Bobin, correspondant régional à New Delhi.

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