Boson de Higgs: veuillez, s’il vous plaît, laisser Dieu en paix!

Mardi 8 octobre 2013, l’Académie Nobel décerne son Prix de physique à François Englert et Peter Higgs. Ils ont postulé l’existence de la particule dite «boson de Brout-Englert-Higgs» quarante-neuf ans avant que le CERN n’annonce tenir la preuve de son existence (c’était le 4 juillet 2012). Robert Brout, le troisième «père» du boson, ayant eu le mauvais goût de décéder entre-temps (en 2011 précisément), ne sera pas récompensé, dommage pour lui. Gandhi avait déjà expérimenté un incident similaire…

Cela dit, bravo aux deux lauréats, bravo aux scientifiques et techniciens du CERN, bravo aussi à tous les soutiens administratifs qui ont rendu possible cette expérience de collaboration internationale: du point de vue du chercheur en sciences humaines, cela constitue une performance aussi admirable (et plus compréhensible…) que la détection des particules élémentaires. Bravo aussi à tous ceux qui considèrent que, pour une fois, l’actualité scientifique mérite de passer devant le sport, la politique et les faits divers.

Toutefois, un détail vient sensiblement atténuer mon ineffable bonheur à voir tant de gens se réjouir: l’abus fait dans les médias, depuis de nombreuses années, de l’expression «particule de Dieu» au sujet dudit boson. Peter Higgs lui-même déteste cette expression qui heurte ses convictions athées. Sans partager celles-ci, on peut tout de même s’interroger: que vient faire Dieu là-dedans? Pourquoi faire de cette métaphore le b.a.-ba de toute vulgarisation, et flirter ainsi avec le concordisme? Celui-ci consiste à chercher dans la science une confirmation de postulats métaphysiques – texte sacré d’une religion ou affirmation que Dieu n’existe pas.

Que croyants et athées puissent être également de grands scientifiques, les œuvres du musulman Bruno Guiderdoni, du catholique Georges Lemaître, du bouddhiste Trin Xuan Tuan et de l’athée Peter Higgs en témoignent. Mais par ailleurs, essayer de faire communiquer science et métaphysique exige de grandes précautions épistémologiques et méthodologiques. Tenter, par exemple, de réinterpréter des textes sacrés ou athées à la lumière de nouvelles connaissances scientifiques peut certes nourrir la profondeur spirituelle du croyant ou de l’athée en leur donnant plus de lucidité sur notre Univers; mais cela se fait hors du domaine proprement scientifique, quand bien même ce sont des religieux ou des militants de l’athéisme qui s’y essaient. Et confondre les domaines n’apporte rien, sinon l’obscurité: Monseigneur Georges Lemaître le fit remarquer au pape Pie XII (qui a d’ailleurs très honnêtement reconnu sa mésinterprétation) quand celui-ci soutint, à propos de la théorie du big-bang, qu’il s’agissait d’une preuve de la Création.

Postuler que la science, la philosophie ou la religion soient, l’une ou l’autre, seule porteuse de vérité et n’ait nul besoin des autres sphères de la connaissance humaine, relève d’un dogmatisme appliqué sans discernement à une question indécidable. Si ces savoirs ne sont pas séparés par des cloisons étanches (nul n’est scientifique à un moment, croyant/athée à un autre: tous sont l’un et l’autre – et bien d’autres choses – à la fois), ils se distinguent néanmoins par leurs modes d’élaboration, de confrontation et de validation (épistémologie et méthodologie). L’erreur des Maurice Bucaille, Richard Dawkins et autres thuriféraires de l’Intelligent dessein comme théorie scientifique, est du même ordre qu’appeler «particule de Dieu» le boson BEH: oublier que toute hypothèse métaphysique est, par nature, insaisissable avec des outils et des méthodes scientifiques; oublier que la science n’est ni athée ni croyante, mais agnostique.

La tâche du vulgarisateur (de l’enseignant envers ses élèves, du journaliste envers le grand public, du physicien du CERN lors des journées portes ouvertes qui ont eu lieu fin septembre 2013) est d’expliquer, non d’obscurcir; et, certes, fasciner le public constitue un bon moyen de l’intéresser à la science. Or, pour ce faire, allier talent d’écriture ou oratoire et présentation de faits particulièrement étonnants et déroutants (tel est le cas de la physique de l’infiniment petit) suffit largement. Alors, s’il vous plaît, abandonnons les formules toutes faites qui ne contribuent qu’à communiquer avec éclat et non à exposer des faits avec clarté. Athées, croyants et agnostiques profiteront d’autant mieux de leur connaissance scientifique, pour apprécier le monde dans lequel ils vivent en tant qu’êtres humains et le faire évoluer en tant que citoyens, si Dieu et le boson de Brout-Englert-Higgs restent chacun à leur place.

Jean-Baptiste Ping, géographe.

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