Bourses du climat, marché de dupes à Copenhague

Face au réchauffement de la planète, que nous proposent de concert Bruxelles et Washington ? La création d’un nouveau terrain de jeu spéculatif, celui des variations climatiques. Les responsables des Bourses de Chicago, celle qui en 1974 ouvrit les portes de son marché à terme du blé aux spéculateurs, ne s’y sont pas trompés. Alors que le Sénat américain n’a toujours pas accepté le principe de marchés de droits d’émission - ce que l’opinion décode souvent comme des «droits à polluer» - ils ont déjà créé une «plate-forme» ouvrant la voie à la spéculation sur le climat. Il ne fallait pas laisser l’Europe prendre la maîtrise de ce marché. Les diverses Bourses climatiques européennes déjà existantes représentent 85% du volume mondial et leur volume a doublé en un an. Ces Bourses-là fonctionnent, faut-il le préciser, selon les principes expérimentés à Chicago - marchés à terme ouverts aux fonds spéculatifs.

A Copenhague, nous sommes invités à nous réjouir du recyclage des archaïsmes du XXe siècle. Comme si Lehman Brothers n’avait pas fait faillite ; comme si le dollar ne s’effondrait pas ; comme si le nombre de mal-nourris dans le monde n’avait pas, selon la FAO, crevé en cette année 2009 le seuil record du milliard ; comme si la bulle des marchés dérivés n’avait pas explosé le premier assureur mondial, AIG. Après les malheurs où nous ont plongés les produits dérivés et les marchés à terme, on aurait pu attendre quelques garde-fous. Pour faire évoluer le système vers une taxation, des prix plafond et plancher qui réduiraient les enjeux spéculatifs dès aujourd’hui ? Sûrement pas. Une taxe type Tobin pour les dissuader quelque peu ? Nenni. Une exclusion des spéculateurs des marchés à terme ? Hérésie néokeynésienne.

Alors que l’instabilité capitaliste est de retour, est-il bien sage de donner un prix à un bien naturel comme le climat ? Peut-on demander aux forces qui ont conduit au changement climatique de le guérir ? L’humanité peut-elle renoncer à sa volonté de domination de la nature ? L’espèce humaine a-t-elle encore besoin de s’opposer à son environnement pour parvenir à penser son humanité ? Ce modèle dominateur n’est-il pas connexe à celui qui divise l’espèce entre dominants et dominés ? A Copenhague, les victimes des crises alimentaires et des politiques climatiques sont un point aveugle. Nulle négociation sur les agrocarburants, présentés comme une énergie renouvelable, et dont les cultures dans les pays tempérés prennent la place de cultures vivrières. Comment, dans une enceinte de l’ONU, les négociateurs peuvent-ils négliger la FAO qui a désigné les agrocarburants comme responsables de la moitié des hausses des prix des céréales et des oléagineux entre 2003 et 2007 ?

Il y a quinze jours, à l’étal du Monoprix de mon quartier, j’ai eu à choisir entre des clémentines d’Espagne et d’Argentine. Celles qui avaient parcouru plus de 12 000 kilomètres se vendaient un euro de moins… Pour une part, c’est que le gazole du routier est taxé lourdement en Espagne et en France et que le kérosène de l’avion ne l’est nulle part. De même, le gazole des cargos est détaxé. L’accélération des échanges à grande distance est un fauteur de troubles climatiques. Inutile de préciser que la taxation mondiale du kérosène et du gazole cargo est hors négociation à Copenhague.

Pour mettre à sac Troie, Ulysse inventa la ruse du cheval. Douze ans après la conférence de Kyoto, les nostalgiques de la fin du XXe siècle, de la belle époque de la «mondialisation heureuse», du chacun pour soi triomphant, sont peut-être cachés dans un cheval nommé «Copenhague». Gageons donc que dans douze ans, la 27e conférence climatique voudra réussir ce que Copenhague a raté : répondre transversalement aux crises climatiques, financières et alimentaires.

Jean-Marc Salmon, sociologue, spécialiste du climat.