Brexit : « L’Union européenne est en droit de demander des clarifications au Royaume-Uni »

Le spectacle que nous donne le Royaume-Uni laisse chaque jour plus perplexe. Le Brexit y a déclenché une crise constitutionnelle et politique qui s’accentue et se complexifie sans discontinuer, confirmant ou mettant à rude épreuve – c’est selon – les mécanismes de la démocratie britannique, preuve s’il en est qu’on ne sort pas de l’Union comme d’une simple organisation internationale.

Face à ce tumulte et à cette confusion, l’Union donne, pour l’instant au moins, l’apparence d’un ensemble ordonné et cohérent. Cette stabilité étonne. Elle aurait pu être mise à mal dès l’origine, ce qu’escomptait, non sans un certain pragmatisme, le Royaume-Uni : écueil, les négociations sur le retrait ; écueil encore, les Conseils européens consacrés au Brexit, et notamment à la question du report de la sortie britannique.

Contre toute attente, donc, l’Union européenne ne s’est pas fracassée sur ce qui est une des plus grandes crises de son histoire. La première question que l’on peut se poser est pourquoi ? Sans doute faut-il trouver un début de réponse dans l’article 50 du traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, qui définit les modalités d’un retrait volontaire de l’Union. Non seulement dans cet article en tant que tel, mais aussi, par comparaison avec l’article 49, qui gouverne, quant à lui, la procédure d’adhésion à l’Union.

C’est l’Union qui négocie

Si le principe de l’adhésion doit être accepté par l’Union, en revanche, les conditions de celle-ci ainsi que les adaptations des traités doivent être négociées dans le cadre d’un accord entre l’Etat candidat et les Etats déjà membres (article 49, alinéa 2). La prévalence est donc celle des Etats.

Rien de tel dans l’article 50. Le choix de sortir de l’Union est, certes, un droit de l’Etat, qui l’exprime dans une décision unilatérale, laquelle s’impose à l’Union qui n’a ni à la discuter, ni à la refuser, ni à l’accepter. Mais cet article 50 européanise la procédure : c’est l’Union qui négocie et qui conclut l’accord. La Cour de justice ne pourrait que le constater, si par hasard elle était saisie de l’interprétation de ce point de l’article 50, et de ce fait de la régularité de la procédure – et de l’accord – de retrait.

Ce bloc qu’est l’Union se retrouve également à propos de la prorogation du délai de retrait décidée à l’unanimité du Conseil européen, ce que le Parlement britannique pourrait ne pas avoir envisagé ces derniers jours.

Pourtant, ce qui tend à se transformer en un Brexit « permanent », statut persistant et instable pour le Royaume-Uni, est dangereux pour l’Union européenne, pour sa structure interne, pour sa légitimité politique, son efficacité économique et enfin pour son image diplomatique. Certes, pour répondre à ces risques, le traité prévoit la sortie à défaut d’accord, passé certains délais, solution que personne ne peut raisonnablement souhaiter.

Valeurs communes

Alors, et c’est la seconde question que l’on peut se poser, comment l’Union européenne pourrait-elle faciliter ce retrait avec accord ? On ne parlera pas ici, car c’est un sujet à lui seul, du fond de l’accord de retrait, et notamment de la fameuse question de la frontière irlandaise. On s’interrogera plutôt sur une stratégie politique et juridique de l’Union.

En la matière, on reviendra sur le texte du premier alinéa de l’article 50 et sa référence à la décision de retrait de l’Etat « conformément à ses règles constitutionnelles », qu’il convient de lire, à n’en pas douter, à la lumière de l’article 2 visant les valeurs de l’Union – dignité, liberté, démocratie, égalité, Etat de droit, droits de l’homme – qui sont aussi communes aux Etats membres.

La Cour de justice a déjà commencé une telle lecture dans son arrêt Wightman (interrogée par la Cour suprême écossaise, elle a estimé, en 2018, que l’article 50 du traité permettait au Royaume-Uni de revenir sur sa décision de retrait dans le respect de ses règles constitutionnelles). Il convient de poursuivre cette lecture et d’en tirer deux nouvelles conséquences.

D’une part, l’Union ne doit pas violer ces valeurs : elle se doit donc de respecter la décision de retrait du Royaume-Uni comme celle de demande de report, dès lors qu’elles ont été opérées selon les règles constitutionnelles de l’Etat. Dans le débat relancé par la décision des juges d’Edimbourg, il n’est pas impossible que la Cour de justice soit de nouveau saisie à titre préjudiciel de l’interprétation de l’article 50 pour la procédure de retrait, cette fois. Sauf à ce qu’elle se déclare incompétente, la Cour pourrait alors rappeler que le retrait est conditionné par le respect de ces règles constitutionnelles… que les juges nationaux doivent déterminer.

D’autre part, l’Union se doit de favoriser la lecture combinée des articles 50 et 2 du traitéet, à ce titre, agir en faveur de la démocratie et de l’Etat de droit. Plus de trois ans après le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, qui s’est tenu en juin 2016, celle-ci est en droit de lui demander de clarifier sa position, selon ses règles constitutionnelles et les valeurs qui leur sont communes. Si le retrait ne peut et ne doit pas être remis en cause, au risque de voir l’Union une nouvelle fois accusée d’impérialisme antidémocratique, en revanche, d’autres questions sont possibles. Posées soit par voie de référendum, soit à l’occasion d’élections aux Communes, ces questions sont, assurément, peu simples – mais en la matière rien n’est simple ! Le débat démocratique, et non plus monopolisé par la classe politique britannique, pourrait alors se faire autour d’un Brexit avec ou sans accord, et/ou sur l’acceptation ou non de l’accord négocié par Theresa May avec l’Union.

Certes, on pourra reprocher à l’Union de s’immiscer dans la souveraineté, ô combien revendiquée, du Royaume-Uni mais, sauf à ce que la sortie se fasse sans accord – c’est une forme de souveraineté ! –, la question du retrait, on l’oublie parfois tant le regard porte sur le Royaume-Uni, est commune aux deux parties.

Hélène Gaudin est professeure de droit public à l’Institut de recherche en droit européen, international et comparé de l’université Toulouse-Capitole.

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