Brexit ou pas, l’Europe va sortir très affaiblie de cette épreuve

Lors du dernier Conseil européen consacré au Brexit, en février, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE) se sont affichés lors de la conférence de presse finale en faisant savoir aux citoyens européens – tout particulièrement britanniques – qu’ils avaient obtenu un accord à l’arraché sur les conditions spéciales obtenues par David Cameron pour qu’il puisse recommander un vote positif au référendum qu’il organise le 23 juin prochain sur l’appartenance de son pays à l’UE.

Tout d’abord, faire croire que cet accord a été obtenu à l’arraché est un leurre ! Dès le début, sous la direction de l’Allemagne et de sa chancelière, Angela Merkel, toute-puissante en Europe, on savait déjà qu’un accord avait été passé entre elle et David Cameron pour lui accorder une dérogation excluant les travailleurs européens résidant au Royaume-Uni depuis moins de quatre ans – donc aussi les 400 000 Français et pas uniquement les Roumains et les Polonais – du bénéfice des prestations sociales britanniques.

Plutôt que de réformer ces prestations coûteuses, notamment la santé gratuite, le premier ministre conservateur, poussé par les mouvements populistes, s’est ainsi autorisé à introduire une discrimination inique puisque les travailleurs européens établis au Royaume-Uni depuis moins de quatre ans payeront pour les prestations sociales auxquelles ils n’auront pas accès. Cette dérogation est prévue pour sept ans mais on comprend qu’elle peut être indéfiniment reconduite.

Brèche

La seconde dérogation concerne la City de Londres puisque les réglementations bancaires européennes seront « adaptées » pour ne pas gêner les opérateurs du marché londonien. Cela revient tout simplement à torpiller l’union bancaire européenne qui a été établie après la crise de 2008 pour qu’elle ne se reproduise plus.

La troisième dérogation – la plus surprenante, mais aussi la plus dangereuse – résulte du fait que David Cameron a obtenu que le Royaume-Uni soit explicitement dispensé de l’obligation de former avec les autres pays européens une « union toujours plus étroite ». Voilà l’idée de construction européenne ainsi abandonnée sur un coin de table au Conseil européen ! On peut gager que tous les eurosceptiques au pouvoir aujourd’hui en Pologne, Hongrie, Slovaquie et demain peut-être en Autriche, Suède, Finlande et peut-être aussi en France vont se précipiter dans la brèche !

Paradoxe des paradoxes, le seul chef de gouvernement qui a fait de la résistance à cet accord, négocié en fait de longue date, est le premier ministre grec, Alexis Tsipras ! C’est à son honneur, mais les crises financière, sociale, économique, migratoire de son pays ne lui donnent pas beaucoup de marge de manœuvre sur le plan européen.

Pour se maintenir au pouvoir et contrer l’aile populiste de son opinion publique, mais aussi au sein de son propre parti, David Cameron avait, à l’occasion des élections de mai 2015, annoncé la tenue du référendum avant 2017, en espérant ne pas avoir à l’organiser. Car au sein de la coalition avec les libéraux démocrates qu’il espérait reconduire, ces derniers, proeuropéens, avaient déjà annoncé leur opposition.

Un marché de dupes

Etonné par son propre succès, puisque son parti, les tories, a gagné tout seul la majorité absolue en sièges, David Cameron s’est donc piégé lui-même avec son référendum. Aujourd’hui, ce calcul électoral risque de se retourner contre lui.

C’est aussi un marché de dupes, car on a oublié que le Royaume-Uni avait déjà obtenu plusieurs dérogations et statut particulier dont le fameux « chèque britannique », toujours en vigueur, qui permet au Royaume-Uni, éligible à la plupart des politiques et programmes européens, de bénéficier d’une ristourne avantageuse sous le prétexte que les dépenses européennes ne bénéficieraient que très peu à ce pays.

Le Royaume-Uni bénéficie aussi des dérogations à la mise en place de la monnaie unique, à l’espace de libre circulation de Schengen et à l’application devant les tribunaux de la Charte des droits fondamentaux !

Le Royaume-Uni avait obtenu, en 1991, une option de retrait sur le chapitre social, abolie en 2007 avec l’arrivée au pouvoir des travaillistes sous la conduite de Tony Blair ! Avec ce pseudo-compromis pour éviter le Brexit, on y revient.

Bien maline serait la personne qui pourrait prévoir le résultat à venir. Les sondages se suivent mais ne se ressemblent pas tous. Le « oui » est parfois à égalité avec le « non »… Le premier ministre comptait sur le populaire maire de Londres pour lui apporter son soutien. C’est hélas exactement le contraire qui s’est produit.

Devant l’affolement, le camp des partisans du maintien du Royaume-Uni dans l’UE évoque les conséquences les plus désastreuses qui suivraient une sortie du Royaume-Uni de l’UE en donnant des chiffres qui font dire aux partisans de la sortie de l’UE qu’on les prend pour des « enfants »… Ils ont aussi enrôlé Barack Obama, président des Etats-Unis, lors de sa récente visite d’Etat dans ce pays. Quelle que soit l’issue du scrutin, l’Europe en sortira très affaiblie, une fois de plus.

Henri Malosse est l’ancien président (2013-2015) et actuel membre du Conseil économique et social européen et Patrick Martin-Genier est enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions européennes.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *