Britney Spears plus forte que l’IA ?

Britney Spears, en 2016 à Las Vegas. Photo Kevin Winter. AFP
Britney Spears, en 2016 à Las Vegas. Photo Kevin Winter. AFP

Et si l’intelligence artificielle (IA) envahissait aussi la musique ? Aura-t-on droit bientôt à de véritables robots en lieu et place des auteurs-compositeurs ? C’est une des questions que l’historien israélien Yuval Noah Harari évoque dans son dernier livre 21 Leçons pour le XXIe siècle (Albin Michel), où il aborde la question de l’IA face à la production humaine. Et notamment par rapport à la musique et les émotions qu’elles procurent. Après tout, écrit-il, les émotions n’étant pas un phénomène «mystique», mais le résultat «d’un processus biochimique», il ne serait pas étonnant qu’à terme «les algorithmes soient capables de comprendre et de manipuler les émotions humaines» mieux que les plus grands artistes.

Harari reste prudent. Il avance sur des œufs, abrité par le bouclier du conditionnel. Il est plus affirmatif sur ce qu’il appelle les «succès planétaires». Selon lui, «en exploitant de massives bases de données biométriques glanées auprès de millions de gens, l’algorithme saurait quels boutons biométriques presser afin de produire un succès mondial qui ferait swinguer tout le monde comme des fous en boîte».

Mais le fantasme de la recette du «hit parfait» n’est pas nouveau. En chaque producteur a toujours sommeillé un sorcier et chaque ingénieur qui mixe a toujours rêvé de mixture magique.

La mythologie pop est traversée de sorciers du son : Berry Gordy dès 1959 avec la Motown puis Phil Spector, George Martin, Quincy Jones, Stock Aitken Waterman, les Daft Punk, Mick Ronson, David Guetta, etc.

De fait, Harari ne prédit rien. Cette pulsion de mise en équation de la musique pour atteindre le graal de la pop song parfaite est un vieux refrain. L’idée qu’il y aurait une formule algorithmique à la base du hit parfait également. Car la musique a été le premier secteur artistique à être colonisé par le numérique. Dans les années 70, bien avant l’arrivée des géants d’Internet, les synthétiseurs font leur apparition en studio d’enregistrement, puis ce sont les samplers, les boîtes à rythmes, les machines à programmer, les vocoders et même l’autotune, ce logiciel correcteur de voix.

La chanson est devenue un support totalement numérisé se prêtant idéalement à sa mise en coupes algorithmiques. Harari prédit ce qui existe déjà. Pour autant, il s’engage un peu plus sur la voie du futur lorsqu’il affirme que «les algorithmes ne devront pas tout de suite surclasser Tchaïkovski» mais que «ce serait déjà pas mal qu’ils dépassent Britney Spears». Là encore, il entonne un refrain connu. Mais qui, selon nous, sonne faux. Car il repose sur une vision erronée de la création artistique - fût-elle populaire et commerciale - et par conséquent de Britney Spears.

Sans vouloir offenser «le penseur le plus important du monde» (le Point), on reconnaît là un argument typique du café du commerce : ce qui est populaire serait par essence plus simple à produire que ce qui est élitiste. Logiquement Britney Spears paraît plus facile à imiter que Tchaïkovski. C’est juste une illusion. Parce qu’il n’existe rien de plus sophistiqué que l’apparente simplicité d’un riff de quelques accords ou d’un gimmick.

Avec les algorithmes, on se retrouve dans le cas du paradoxe du singe savant selon lequel avec suffisamment de temps - cent mille ans, peut-être - un singe tapant au hasard sur un clavier serait capable d’obtenir le texte intégral de Hamlet. Reste qu’il serait en revanche incapable de reconnaître que c’est Hamlet. Avec le deep learning, une machine pourrait très certainement composer I Gotta Feeling ou le riff de Highway to Hell par hasard. Mais serait-elle capable de les reconnaître en tant que tels ?

L’idée que «ça ne pouvait que marcher» est une post-rationalisation. Le hit programmé est un mythe qui néglige une donnée fondamentale : les aléas de la réception par le public, cette dialectique indéchiffrable entre la proposition et sa réception. Ce n’est pas la formule du hit qui fait nécessairement son succès, mais son succès qui révèle in fine la formule qui se trouvait enfouie en lui.

Dans le cas de Britney Spears, dire que ses deux plus grands succès sont«irrationnels» relève de l’euphémisme. Baby One More Time et Toxic ne lui étaient d’ailleurs même pas destinées à l’origine. Le premier, qui s’est vendu à plus de 500 000 copies la première semaine, est une succession de quiproquos : imposé à contre-courant dans une décennie dominée par le rap, la techno et le rock alternatif grunge par une jeune interprète inconnue ; un mix improbable de pop, funk et mélodie douce-amère à la Abba ; une genèse erratique faite d’allers-retours entre les Etats-Unis et la Suède, d’où est originaire le producteur Max Martin, et l’intuition de Britney Spears qui, du haut de ses 16 ans, a pensé et supervisé le clip où elle apparaît habillée en collégienne.

Cinq ans plus tard, en 2003, même enchevêtrement foutraque du fatum. Sa carrière en récession, Britney cherche un hit. C’est alors que jaillira Toxic, comme une équation improbable : soit un morceau écrit par une Anglaise et trois Suédois, patchwork d’electro-dance-pop comme une bande-son d’un James Bond qui se serait perdu à Bollywood, enregistré entre Stockholm et Hollywood puis remixé à Stockholm, destiné à l’origine à Kylie Minogue qui la refuse et qui atterrit par hasard dans l’iPod de Britney Spears, qui s’en empare.

On doute qu’un jour un algorithme puisse être aussi génialement bordélique que ça. Et n’en déplaise à Harari, les chansons de Britney Spears tiennent plus de l’art alchimique que d’un processus biochimique. Plus aux qualités naturelles de leur interprète qu’à une quelconque IA. Après tout, il est logique que les augures de l’IA voient le futur dominé par les machines puisqu’ils lisent le présent de façon mécanique.

Paul Vacca, romancier et essayiste.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *