Burkini : Il faut combattre le prosélytisme extrémiste et le sexisme

Mon collègue sociologue Michel Wieviorka a publié le 26 août, sur le site Theconversation.fr, une tribune intitulée « Panique morale autour du burkini ». « Panique morale » : voilà qui nous ramène aux années 1970 et à la lutte pour les libertés contre les tenants de ce qu’on nommait l’« ordre ­moral ».

Dans la culture de gauche – déchirée, depuis les premiers débats sur le voile islamique, par les tensions entre antiracisme et féminisme –, une telle façon de poser le débat revient à l’enterrer : les partisans d’une interdiction du « burkini » seraient à la fois irrationnels et moralisateurs. Double peine.

Mais les fidèles des causes post-soixante-huitardes sont en retard d’une époque, et d’un combat : en plaquant des schémas valables naguère, ils passent à côté des spécificités de la réalité actuelle ; et, ce faisant, deviennent les premiers fossoyeurs des valeurs qu’ils croient défendre. Exactement comme les pacifistes des années 1930 qui, traumatisés par la guerre de 1914-1918, préférèrent fermer les yeux sur le danger nazi plutôt que de renier leur cause – au risque de perdre, on l’a vu, bien plus que la paix.

Le refoulé obscurantiste

Aujourd’hui, une semblable pratique du déni, en cherchant l’apaisement, ne fait qu’attiser l’embrasement, comme le montre l’intensité des débats entourant les arrêtés antiburkini. Minimiser le problème, faire comme s’il n’était qu’une énième réitération des guerres de religion ou des réflexes coloniaux, c’est s’interdire de voir ce dont il est un symptôme, et qui n’est pas derrière nous, mais devant nous. Et c’est, par là même, se lier les mains dans la guerre qui nous oppose à un ravageur retour du refoulé obscurantiste.

Dans le contexte de la France d’aujourd’hui (qui n’est ni celui des Etats-Unis, ni celui de la France d’il y a une génération), l’interdiction des signes religieux les plus extrêmes – la burqa dans les rues, le burkini sur les plages – ne doit plus être une question de laïcité : ce doit être un combat politique contre une manipulation de la religion à des fins d’ordre sexuel, moral, juridique, civique, voire guerrier.

En faire une question religieuse, c’est entrer dans le jeu de nos adversaires, qui utilisent cet argument pour imposer leur conception rétrograde de la citoyenneté – la soumission à l’ordre religieux – et de la différence des sexes – la soumission des femmes.

C’est pourquoi, dans le contexte actuel, l’affichage de comportements manifestant l’adhésion à une conception fondamentaliste de l’islam, tel que le port du burkini, ne relève pas de l’exercice d’une religion (va-t-on à la plage pour prier ?) : il relève de l’expression d’une opinion, et d’une opinion délictueuse, puisqu’il s’agit d’une incitation à la discrimination sexiste, qui en outre banalise et normalise l’idéologie au nom de laquelle on nous fait la guerre. C’est pourquoi le Conseil d’Etat aurait pu, aurait dû valider les arrêtés antiburkini, en vertu de la légitime limitation du droit à la liberté d’expression.

Une conception totalitaire de l’islam

Prôner l’interdiction du burkini, ce n’est pas être islamophobe : c’est se battre contre une minorité de musulmans qui prétend imposer dans l’espace public une conception extrémiste et totalitaire de l’islam que ne partage pas, heureusement, une grande partie des musulmans, mais que soutiennent et promeuvent les terroristes appelant au djihad au nom de l’islam.

Il ne s’agit pas d’un combat des « valeurs chrétiennes » contre les envahisseurs musulmans, ou des racistes contre les immigrés : il s’agit d’un combat entre ceux des musulmans (et de leurs alliés cultivant la culpabilité postcoloniale) qui refusent les lois et les valeurs du pays dans lequel ils ont choisi de vivre et ceux des musulmans qui aspirent à les respecter et à en profiter – et que nous devons, à tout prix, soutenir.

Faut-il donc, pour ne pas le comprendre, être aveugle comme la Ligue des droits de l’homme, ou bien de mauvaise foi comme le Collectif contre l’islamophobie en France, qui torpillent la défense des musulmans en ne distinguant pas entre refus de l’islamisme et refus de l’islam, contribuant ainsi à installer la « continuité » entre l’un et l’autre que postulent à tort les islamophobes, alors qu’il s’agit précisément de marquer la différence entre les deux, comme le réclament la plupart des musulmans ?

Un islam dévoyé

Il faut donc choisir son camp : non pas le camp des sectaires contre les « tolérants », mais le camp des partisans d’un islam respectueux des lois et des valeurs de notre pays – au premier rang desquelles l’égalité entre hommes et femmes et le droit pour celles-ci d’occuper librement l’espace public – contre un islam dévoyé, sexiste, intolérant, violemment prosélyte, et ennemi des libertés car exerçant de puissantes pressions communautaires contre ceux et ­surtout contre celles qui ne se plieraient pas à ses règles archaïques.

« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » : c’était bien un slogan politique, n’est-ce pas ? Est-ce parce qu’il est ici question de femmes qu’on dénie la dimension politique du problème, au profit d’une dimension religieuse et morale ?

Alors, camarades qui vous dites et vous pensez de gauche, il est temps de choisir votre camp : de quels musulmans décidez-vous de soutenir le combat ? Allez-vous enfin accepter de lutter pour la liberté des musulmanes de ne pas se voiler sans risquer la stigmatisation – ce risque qui pousse trop d’entre elles, en France et ailleurs, à « choisir » le voile juste « pour avoir la paix » ?

La réponse à cette question ne relève ni de la « panique », ni du moralisme : elle relève de l’intelligence politique, grâce à laquelle la France pourrait devenir non plus la risée des aveugles, mais un modèle.

Nathalie Heinich, sociologue. Elle est notamment l’auteure du « Bêtisier du sociologue » (Editions Klincksieck, 2009).

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