Burkini: le Conseil d’Etat a insisté sur la liberté de conscience

La liberté de conscience, la liberté d’aller et de venir et la liberté personnelle sont des libertés fondamentales, de celles que, depuis la loi du 30 juillet 2000, la juridiction administrative protège, s’il y est porté une atteinte « grave et manifestement illégale » par une décision d’une autorité publique. Et s’il y a urgence, en ordonnant toute mesure nécessaire à leur sauvegarde, comme la suspension de la décision, par une ordonnance de référé, prise par un ou plusieurs juges du tribunal administratif, dans les quarante-huit heures, avec appel possible devant le Conseil d’Etat.

Le maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Martimes), avant d’autres maires, avait pris, le 5 août, un arrêté modifiant la réglementation de l’accès aux plages de la commune, pour l’interdire à toute personne portant des vêtements ayant une « connotation » contraire au principe de laïcité.

Saisi de demandes de suspension de cet arrêté, le tribunal administratif de Nice les a rejetées en jugeant que si le respect de libertés fondamentales était bien en jeu, elles pouvaient être limitées légalement par cette mesure d’interdiction.

D’une part, le port du « burkini » n’était pas une « expression appropriée des convictions religieuses » après l’assassinat d’un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), dès lors qu’il pouvait être interprété comme relevant du fondamentalisme religieux à l’origine de cet assassinat, comme une revendication identitaire, comme contraire au principe d’égalité des sexes et comme « une défiance ou une provocation exacerbant les tensions ressenties par la population » à la suite des attentats et notamment de celui de Nice.

D’autre part, cette situation créait des risques de troubles à l’ordre public, compte tenu de « l’amalgame qui pourrait être fait par certains » entre l’extrémisme religieux et le « burkini » et de la polémique médiatisée sur le port de ce vêtement « dans le contexte des attentats et de l’état d’urgence ».

Réactions émotives

Dans l’ordonnance du 26 août par laquelle il annule l’ordonnance des juges des référés du tribunal administratif de Nice et suspend l’arrêté du maire, le Conseil d’Etat ne retient pas cette conception extensive et subjective de l’atteinte à l’ordre public.

Après avoir relevé que des libertés fondamentales étaient en effet en jeu et rappelé que, si la loi permet au maire de réglementer l’accès à la plage, ce ne peut être que pour assurer le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade, l’hygiène et la décence, à l’exclusion de toute autre considération, telle le respect de la laïcité.

Après avoir aussi relevé qu’il ne peut apporter des restrictions à des libertés publiques qu’au motif de « risques avérés » de troubles à l’ordre public et par des mesures « adaptées, nécessaires et proportionnées », il juge que le port du burkini ne créait pas de tels risques, à Villeneuve-Loubet et au moment considéré, et que l’émotion et les inquiétudes liées aux attentats ne pouvaient justifier cette mesure locale.

La référence du tribunal administratif de Nice aux « amalgames » opérés par l’opinion était particulièrement contestable. Les réactions émotives se sont étendues, sur d’autres plages, du port du burkini à celui d’un simple voile. Ce nouvel amalgame aurait-il justifié une interdiction plus large ?

Principes fondamentaux de la laïcité française

Cette décision du Conseil d’Etat doit être l’occasion de rappeler les principes fondamentaux de la laïcité française, trop souvent invoquée pour les contredire.

Ainsi que l’a relevé l’Observatoire de la laïcité dans sa note « La laïcité aujourd’hui », adoptée à l’unanimité, la liberté de conscience, constitutionnellement garantie, est celle de ne pas croire ou de croire, et donc aussi d’exprimer ses convictions religieuses.

La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui lie la France, proclame aussi, dans son article 9, que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion », que « ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé » et que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que de restrictions limitées, par la loi, pour la sécurité, la santé, la morale ou l’ordre publics ou « la protection des droits et libertés d’autrui ».

En France, la laïcité de la République, qui n’est pas celle de la société, implique la neutralité religieuse des agents publics, qui ne peuvent exprimer, notamment par des signes vestimentaires, de telles convictions.

Au contraire, les usagers des services publics le peuvent. Une exception est celle des élèves des écoles, collèges et lycées publics qui, depuis la loi du 15 mars 2004, ne peuvent porter des signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse, pour les préserver de toute pression, prosélytisme ou conflit d’inspiration religieuse. Il y a aussi l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, par la loi du 11 octobre 2010, pour un objectif affiché d’ordre public mais avec pour principal effet l’interdiction des tenues de type « burqa ».

La loi pourrait prévoir de nouvelles interdictions. Encore faudrait-il qu’elles ne soient discriminatoires ni contre les religions en général ni contre une religion en particulier. Si tel était le cas, le Conseil constitutionnel pourrait les juger contraires à la Constitution et les juridictions nationales et européennes contraires à la Convention européenne des droits de l’homme.

Au-delà de ces aspects juridiques, le débat est évidemment politique et tourne autour de la difficulté de concilier l’impératif de cohésion nationale, qui s’oppose au « communautarisme », et le respect des différences religieuses mais aussi culturelles, dans une société française marquée par le jacobinisme égalitariste autant que par la laïcité.

Alain Christnacht, Conseiller d’Etat honoraire, membre de l’Observatoire de la laïcité.

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