Capitole: une tentative de coup d’Etat qui s’inscrit dans une guerre raciale

Mercredi, des insurgés pro-Trump ont réussi à pénétrer dans le Capitole lors d’une tentative de coup d’Etat surréaliste. Loin d’un sursaut anarchiste inattendu, cet événement ahurissant semble sonner le glas de l’ère Trump dans la violence et le chaos, et répond directement à l’appel du Président à contester les résultats de l’élection de 2020.

Les chants des manifestants glacent le sang. «Ici, c’est chez nous, vous travaillez pour nous» («This is our house, you work for us») hurlent les suprémacistes blancs pro-Trump lorsqu’ils envahissent le Capitole. L’accent que ce slogan met sur la possession («notre maison», ici également en référence à la Chambre des représentants) et l’identité des insurgés («nous») trahissent immédiatement leur message : ce pays est un pays fait pour les Blancs, et qui sert leurs intérêts. Il est indéniable qu’il s’agit d’un message raciste et que cette tentative de coup d’Etat s’inscrit dans une guerre raciale qui déchire le pays depuis des siècles, et de façon encore plus visible depuis 2016.

Sous la rotonde du Capitole, à Washington, mercredi. Photo Saul Loeb. AFP
Sous la rotonde du Capitole, à Washington, mercredi. Photo Saul Loeb. AFP

L’idéologie de la suprématie blanche n’a d’ailleurs pas été dissimulée lors de la prise du Capitole, dont les symboles sont loin d’être anodins. Le drapeau de la campagne de Trump flotte aux côtés du drapeau confédéré, symbole puissant des Etats confédérés d’Amérique, soit la confédération d’Etats sudistes qui s’est battue contre l’Union pour défendre l’institution de l’esclavage lors de la guerre de Sécession au XIXe siècle. L’image de ce drapeau flottant dans le Capitole semble irréelle. Ce n’est pourtant que lors des élections de 2020 que le Mississippi vote une modification de son drapeau, qui jusque-là incluait le symbole confédéré. L’usage des symboles confédérés est encore une question controversée aux Etats-Unis, ce que le débat autour des statues rappelant le passé esclavagiste au printemps 2020 a récemment mis en exergue.

La scène de mercredi est choquante, mais elle n’est pas sans précédent. Le seul coup d’Etat que les Etats-Unis aient connu depuis leur formation eut lieu en 1898 à Wilmington, en Caroline du Nord, et le parallèle fait prendre toute sa profondeur aux événements de janvier 2021. A Wilmington, il y a plus d’un siècle, une milice de suprémacistes blancs renversa le gouvernement municipal lors d’un carnage meurtrier faisant suite à une longue campagne politique raciste dans l’Etat. A la fin de la période de la Reconstruction, après la guerre de Sécession, les Africain·e·s-Américain·e·s avaient pu faire entendre leur voix plus que jamais auparavant. Certains Africains-Américains accédèrent à des postes importants et se firent élire lors de la période dite de «fusion» à la fin du XIXe siècle.

La violence suprémaciste blanche du massacre de 1898 visait à mater cette marche vers l’égalité et la justice. Le coup d’Etat de Wilmington aboutit. Assassinant entre 60 et 300 personnes noires, les suprémacistes blancs reprirent le contrôle de Wilmington, alors considérée comme l’une des villes principales, si ce n’est la plus importante de l’Etat de Caroline du Nord, saccagèrent les entreprises et la presse noires de la ville et restaurèrent le contrôle des institutions locales aux mains d’une élite blanche qui avait vu son pouvoir amoindri lors des années précédentes.

L’écho de 1898 se fait entendre en 2021. La tentative de coup d’Etat des trumpistes au Capitole survient alors que la montée en puissance des femmes et hommes racisé·e·s aux Etats-Unis est inédite. Joe Biden choisit un gouvernement plus divers que jamais : Kamala Harris, une femme noire d’origine indienne, fit campagne en tant que future vice-présidente à ses côtés, Deb Haaland, une femme amérindienne, sera bientôt à la tête du département de l’Intérieur des Etats-Unis. Le nouveau président a choisi Lloyd Austin, un homme noir, pour la Défense. Tout comme en 1898, les suprémacistes blancs réagissent avec violence pour tenter de récupérer des institutions qu’ils pensent être fondamentalement leurs, ce que l’histoire des Etats-Unis a jusqu’ici confirmé maintes fois. Les images du Capitole semblent surréalistes tant elles semblent anachroniques.

Le contraste avec les rassemblements Black Lives Matter est évident. Lors des manifestations en réaction aux meurtres de George Floyd et Breonna Taylor des mains de la police, c’est une police militarisée et déployée en force qui attendait les manifestants pacifistes. Que des suprémacistes pro-Trump aient pu envahir le Capitole mercredi montre, encore une fois, combien ils sont sous-estimés et tolérés par les forces de l’ordre. Trump, lui, choisit d’adresser un message de sympathie aux insurgés lors de leur révolte, leur assurant qu’il les «aime».

Il est malheureusement facile d’imaginer l’hécatombe qui aurait eu lieu si des manifestants Black Lives Matter avaient tenté de pénétrer le Congrès au printemps. Le 3 octobre 2013, à Washington, Miriam Carey, une mère noire de 34 ans venant du Connecticut, fut assassinée par la police pour avoir tenté, par erreur, de traverser un point de contrôle de sécurité de la Maison Blanche lors d’un demi-tour en voiture.

Esther Cyna, doctorante en civilisation américaine à l’Université Sorbonne-Nouvelle, Paris 3 en cotutelle de thèse en histoire à l’université de Columbia aux États-Unis.

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