Ce que la Grèce peut apprendre de l’Argentine

Après le défaut de paiement de la Grèce vis-à-vis du FMI, la sortie de la Grèce de la zone euro apparaît comme un scénario vraisemblable pour nombre d’observateurs. Cette possibilité est même explicite dans les discours de la Banque centrale européenne (BCE), qui nous avait pourtant habitués à plus de prudence.

Un tel scénario constituerait un saut dans l’inconnu pour la Grèce et pour l’ensemble de l’union monétaire. La crise argentine de 2001 et 2002 peut nous servir de repère pour mesurer les conséquences des nouveaux développements de la crise grecque, et plus largement de la zone euro. Les crises grecque et argentine sont comparables par les causes profondes qui les expliquent : les deux pays souffraient d’institutions défaillantes, du surdéveloppement du secteur des services après des années d’euphorie financière, d’un déficit de compétitivité à l’exportation, d’une dette publique non soutenable.

Ces deux pays avaient par ailleurs renoncé à leur politique monétaire, la Grèce en tant que membre de la zone euro, l’Argentine du fait de l’ancrage du peso argentin au dollar qui avait un statut constitutionnel (currency board). Hélas, il est trop tard pour analyser les fondamentaux des deux crises, l’urgence est de proposer une sortie de crise.

La fin du currency board argentin ressemble de plus en plus aux dernières nouvelles venues de Grèce. Le 1er décembre 2001, le gouvernement argentin a imposé le gel des dépôts bancaires pour stopper la fuite des capitaux ; après le refus du FMI de verser une tranche du dernier crédit, l’Argentine a été contrainte de déclarer le défaut de paiements sur sa dette publique (24 décembre). Le 2 janvier 2002, la parité entre le peso et le dollar a été abolie, mettant fin à une décennie de stabilité monétaire.

Les parallélismes, entre le décembre argentin et le juin grec, sont flagrants. Pourtant, contrairement à l’Argentine en 2001, la Grèce n’a pas, encore, franchi le Rubicon du saut vers l’inconnu monétaire, et l’expérience argentine peut nous éclairer sur les conséquences d’un tel choix.

Au cours de l’année 2002, le chaos économique a succédé au chaos monétaire. En quelques jours, le peso argentin s’est déprécié massivement. Les épargnants, qui avaient placé leurs économies en dollars, auraient dû en sortir gagnants. Ils n’ont pas bénéficié de cette aubaine, la dévaluation ayant rendu insolvable le système bancaire. Dans ce contexte, en février 2002, le gouvernement a modifié, par voie législative, l’ensemble des contrats de l’économie libellés en dollars, obligeant les acteurs économiques à les transcrire en monnaie nationale. Sur l’ensemble de l’année 2002, le crédit bancaire s’est effondré tout comme le PIB, qui a chuté de 11%.

Le système bancaire n’a pu se relever que grâce à l’injection de capital de la part de l’Etat, financée par la création monétaire et par l’émission de la dette publique, en hausse de presque 100 points de PIB en 2002. Si l’année 2002 a été chaotique, la situation de l’économie réelle s’est améliorée très rapidement. La forte dévaluation a soutenu l’activité, faisant refluer le chômage. La hausse de l’inflation a permis d’améliorer la situation fiscale. Dès 2004, le PIB, l’investissement et le taux de chômage avaient retrouvé leur niveau d’avant-crise. A ce stade, la principale séquelle de la crise était le niveau très important de la dette publique.

En 2005, les créanciers privés de l’Argentine ont subi une décote de 77%, ce qui a constitué, à l’époque, la deuxième plus grande restructuration de l’histoire de la dette publique (depuis dépassée par la restructuration de la dette grecque de 2012). Ainsi, la résolution de la crise argentine s’expliquerait par le cumul de trois facteurs : la forte dépréciation de la monnaie, l’allègement de la dette publique et la modification forcée de l’ensemble des contrats. Si l’Argentine a pu se remettre rapidement de la crise - grâce à une forte dose d’hétérodoxie économique - elle reste exclue des marchés financiers, la contraignant encore aujourd’hui à réaliser des excédents budgétaires et de balance extérieure : «après l’hétérodoxie, l’orthodoxie».

En ce qui concerne la Grèce, il n’existe pas de fatalité sur les évolutions monétaires à venir, plusieurs alternatives subsistent. La Grèce peut rester dans l’euro en suivant le modèle chypriote, combinant un contrôle de capitaux pérenne et la signature d’un accord «argent contre réformes», ce qui lui permettrait de refinancer sa dette, constituant le scénario préféré par les créanciers.

Les autres alternatives supposent de s’écarter de façon plus marquée de l’esprit des traités régissant l’euro. La Grèce pourrait rester dans l’euro en conservant le gel dans les dépôts mais en s’affranchissant des contraintes budgétaires à court terme par l’émission d’une monnaie parallèle. Elle pourrait quitter la zone euro, en coupant tout lien institutionnel avec la BCE, mais garder l’euro comme monnaie de cours légal, comme le font le Monténégro et le Kosovo. Ce scénario ne peut fonctionner qu’à condition de créer une nouvelle structure bancaire, qui gère les mauvais crédits octroyés au secteur privé et qui assume les dettes du système bancaire grec actuel vis-à-vis de la BCE (113 milliards au mois d’avril). Le reste du système bancaire resterait solvable mais le gel des dépôts devrait être maintenu jusqu’au retour du calme.

Enfin, le scénario du Grexit serait le plus proche de l’expérience argentine de 2001 et 2002. En somme, l’expérience argentine montre qu’une modification brutale du système monétaire ne se déroule pas sans heurts. Si le contexte de tensions sociale et politique peut faire déraper ce type de solution, ils existent des alternatives pour pallier aux différents risques économiques posés par une telle solution.

Si à court et à moyen terme, la Grèce subira les principaux coûts du Grexit, à long terme, ce sera l’ensemble de la zone euro qui sortira perdante. Un éventuel Grexit changera à jamais la nature de l’euro comme monnaie. En particulier, l’euro cessera d’être perçu comme un engagement irréversible. A chaque nouvelle crise, les marchés financiers pourront tester la force du lien qui rassemble les pays notamment vis-à-vis des maillons faibles qui subsisteront au sein d’une union toujours incomplète.

Raul Sampognaro, economiste à l'OFCE

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