Ce que reprochent les eurosceptiques à l’UE, c’est la disparition d’un monde de médiocrité

On semble l’avoir oublié, mais l’Union européenne a reçu en 2012, en tant que construction politique, le prix Nobel de la paix. Le comité Nobel a justifié son choix en indiquant qu’il récompensait « plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe ».

Pourtant, force est de constater que, près de sept ans après ce prix Nobel, les attaques contre le projet européen se multiplient. Le Brexit en a poussé la logique jusqu’à une extrémité à la fois spectaculaire et déroutante. Mais il traduit une tendance générale à l’affirmation et à la progression de partis extrémistes, essentiellement de droite, qui remettent en cause non seulement certains éléments de la construction européenne comme l’euro, mais de plus en plus le principe même de cette maison commune.

Défendre la construction européenne pour un économiste et un chef d’entreprise suppose de l’aborder par la dimension qui les concerne en premier lieu, à savoir l’économie. Dans le projet européen, celle-ci se concrétise dans deux domaines essentiels, tout d’abord celui du commerce avec une politique européenne de la concurrence particulièrement efficace, et sur le plan monétaire avec la création de l’euro.

Disparition de l’inflation

Le principe de la concurrence libre et non faussée est un fondement de l’économie de marché et de la création de richesse. C’est pourquoi il apparaît dès le traité de Rome de 1957. Ce principe conduit la Commission européenne à traquer non pas les positions dominantes, mais les abus de position dominante, c’est-à-dire la capacité qu’ont les monopoles affichés ou masqués de fixer les prix et donc de voler les consommateurs.

Aujourd’hui, la promotion de la concurrence se heurte au discours sur la nécessité de constituer des champions nationaux ou européens pour affronter une compétition internationale systématiquement qualifiée, pour la discréditer, de « déloyale ». Cette critique repose sur le postulat que plus une entreprise est grosse, meilleur est son avenir industriel.

Or, la théorie économique démontre qu’il existe une taille optimale de l’entreprise qui n’est pas la plus grosse possible. Trop petite, elle a un problème de répartition de ses coûts fixes, mais trop grosse, elle perd en agilité et en innovation. Surtout elle ignore que l’objet de l’économie, c’est le consommateur. Le producteur est là pour fournir les produits dont le consommateur a besoin. Il n’existe pas pour lui-même.

Quant à la zone euro, malgré les turbulences qu’elle a traversées et les annonces récurrentes de sa mort prochaine, elle a survécu, garantissant à ses membres une disparition durable de l’inflation et des taux d’intérêt faibles. La Grèce qui fut menacée naguère de faillite emprunte désormais à des taux inférieurs à ceux des Etats-Unis tandis que la France, durant la crise de 2008-2009, aurait vu sa monnaie s’effondrer, du fait son endettement.

Barrières douanières et dévaluations

La zone euro apporte aussi aux populations un confort dans leur voyage dans toute l’Europe où il n’est plus besoin de changer de devises et surtout aux entreprises une garantie de stabilité qui leur permet d’investir et se développer sans risques ni de change ni juridiques. Et ceci est la condition la plus essentielle au développement d’une économie prospère.

Ainsi l’Europe, avec un marché intérieur de près de 500 millions de clients, constitue pour ses entreprises un élément primordial de leur compétitivité, avec ce résultat que la zone euro engrange des excédents commerciaux records et compte parmi les zones les plus riches de la planète.

En fait, ce que reprochent les eurosceptiques à l’Union, c’est la disparition d’un monde de médiocrité où, grâce aux barrières douanières et aux dévaluations à répétition, les entreprises évitaient les remises en question et échappaient à la nécessité de faire sans cesse des gains de productivité. De ce confort artificiel, c’est le consommateur et l’épargnant qui en faisaient les frais, en échange de la promesse fallacieuse de la préservation de l’emploi.

La France et l’Europe n’ont aucun intérêt à revenir en arrière vers ce monde ; elles doivent au contraire avancer. Cela suppose de répondre à un réel besoin de clarté, ce qui signifie pour les dirigeants français le respect à la lettre des traités votés.

Jean-Marc Daniel, professeur émerite à l’ESCP-Europe.

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