Ce qui reste de la révolution cubaine, c’est aujourd’hui sa répression

La mort de Fidel Castro, qui affirmait volontiers « Je suis la révolution », conduit tout naturellement à s’interroger sur la fin de son régime. Comme son « lider máximo », l’agonie de la révolution cubaine est bien longue. En dissonance avec les éloges en faveur de la Cuba castriste notamment en France, en Russie et au Venezuela chaviste, rappelons l’anecdote signalée par Marcel Niedergang (1922-2001) dans l’un de ses derniers articles en 2001 (repris par Le Monde du 26 novembre) : au fameux slogan « Le socialisme ou la mort ! » proclamé par le régime sur les murs de La Havane, des opposants ont répondu courageusement en écrivant furtivement « Quelle différence ? »

Car ce qui reste de la révolution cubaine, c’est aujourd’hui essentiellement sa répression. Dès les premiers mois après la prise de La Havane en 1959, avait commencé l’épuration au sein de l’opposition démocratique au dictateur Batista et parmi les compagnons mêmes des Castro (comme Huber Matos, comandante dans la Sierra, condamné à vingt ans de prison).

En 1960, on répertoriait officiellement 631 condamnations à mort (exécutées en bonne part sous les ordres inflexibles de Che Guevara) et environ 70 000 prisonniers politiques. Aujourd’hui, la répression a pris d’autres formes mais ne faiblit pas. Pour l’année 2015, après cependant le rapprochement spectaculaire avec les Etats-Unis d’Obama, la Commission cubaine des droits de l’homme et pour la réconciliation nationale dénombrait plus de 8 600 arrestations d’opposants.

Emprisonnements pour la plupart de courte durée désormais, mais répétitifs, sur le mode du harcèlement, notamment de personnalités dissidentes comme l’artiste Tania Bruguera ou la blogueuse Yoani Sanchez et de militants des droits de l’homme comme le mouvement des « Dames en blanc » (compagnes de prisonniers politiques).

Le pays le plus alphabétisé de la région avant Castro

Mais le mythe de la belle révolution tropicale a la vie dure. On s’émerveille encore des réalisations du régime en matière d’éducation ou de santé alors qu’on n’en fait jamais autant par exemple pour l’Uruguay, petit pays démocratique et farouchement laïque dont le développement humain est remarquable depuis 1903 (exception faite de la sinistre parenthèse dictatoriale des années 1970) ou encore du Venezuela démocratique et redistributeur de Romulo Bettancourt (1908-1981) qui, dans les années 1960-1970, faisait figure de modèle progressiste en Amérique latine.

Or, si l’on peut louer une certaine politique sociale castriste, il faut d’une part se souvenir que Cuba avant la révolution était déjà le pays le plus alphabétisé de la région et d’autre part surtout, que la grande île a longtemps vécu sous perfusion soviétique puis plus récemment grâce au soutien du Venezuela chaviste.

La « réussite » du régime castriste est en effet bien davantage idéologique que matérielle. En cela, les Etats-Unis ont été un faire-valoir de premier plan : tandis que la guerre froide garantissait la protection de Cuba par les Soviétiques, « l’Empire » Goliath maintenait son embargo sur le petit David et jusque dans les années 1980 apporta son soutien politique, logistique voire militaire, à de nombreuses dictatures à travers le monde et notamment en Amérique latine.

Après l’échec de la tentative d’ouverture gorbatchévienne en 1989, qui se solda par le procès dans le plus pur style stalinien des militaires Arnaldo Ochoa (1930-1989) et Antonio de la Guardia (1939-1989), Cuba resta communiste, mais perdit de son importance géopolitique. Au demeurant, pour les nostalgiques du bolchevisme et ceux qui rêvent encore d’un changement radical, d’une rupture définitive avec le capitalisme, Cuba reste la grande référence.

Le Venezuela comme Cuba

Mais le régime castriste a désormais un alter ego en Amérique latine, qui, lui aussi, malgré le désastre économique et humain qu’il a produit, continue de fasciner nombre de militants et représentants de la gauche radicale, notamment en France. Le régime castriste en grande difficulté économique après la chute de l’URSS, intensifia en effet son discours anti-impérialiste et opéra à la fois un transfert de leadership et une symbiose avec le régime chaviste au Venezuela.

Aujourd’hui, les destins de ces deux pays sont sans doute intimement liés. Le chemin de la transition vers la démocratie est incertain à Cuba comme au Venezuela. A Cuba, après une si longue dictature, qui façonne les esprits, les sensibilités et les comportements, il est délicat d’évaluer le poids et la portée de la dissidence au régime, et surtout, dans un régime dictatorial opaque par définition, il est toujours difficile de connaître les différents courants susceptibles de le fracturer en son sein.

Au Venezuela chaviste, on a pu mesurer l’importance du rejet du régime par une large majorité de la population qui, malgré tous les obstacles, a porté plus des deux tiers de députés d’opposition à l’Assemblée nationale en décembre 2015. Mais le poids de Cuba y est sans doute déterminant dans les possibilités d’ouverture, car les castristes dominent la plupart des secteurs de l’Etat vénézuélien et notamment les forces armées.

En revanche, une démocratisation du Venezuela aurait probablement des conséquences dans le même sens à Cuba. Cependant, sans doute faudra-t-il pour cela attendre également l’effacement du second frère Castro.

Par Renée Fregosi, philosophe et directrice de recherche en science politique à l’université Paris-III-Sorbonne-Nouvelle. Il est l’auteure de « Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates ». Editions du Moment, 2016, 300 pages, 17,95 euros.

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