Ce qui se joue en Catalogne est une affaire européenne

L’organisation d’un référendum par les autorités catalanes et la répression policière espagnole qui s’en est ensuivie — faisant plus d’une centaine de blessés le 1er octobre – ont conduit au durcissement d’une situation déjà tendue au cœur de l’Europe.

D’un côté, la décision du gouvernement catalan d’organiser un référendum sur l’indépendance a été entachée par l’absence d’un véritable processus démocratique au sein même du Parlement catalan : absence de débat contradictoire ; vote selon une procédure d’urgence avec lecture unique ; décision approuvée par seulement 72 députés indépendantistes (sur 130 députés).

En réponse, Madrid a demandé à la Cour constitutionnelle de suspendre la loi sur le référendum. Cette dernière a accédé à cette demande de suspension, en rendant de fait illégales l’organisation du scrutin et a fortiori l’indépendance. Chercher à prononcer l’indépendance de manière unilatérale — comme le font actuellement les autorités catalanes — ne peut dès lors qu’aggraver les tensions déjà latentes entre Barcelone et Madrid.

Déni et répression

De l’autre, il serait malhonnête de réduire ce conflit à sa simple dimension juridique. Il n’est pas suffisant d’avoir le droit pour soi pour avoir raison politiquement. Le résultat des scrutins successifs en Catalogne montre bien qu’entre autonomistes et indépendantistes déclarés, une majorité de Catalans ne sont clairement pas satisfaits de l’arrangement constitutionnel espagnol actuel.

Or, après l’annulation du nouveau statut en 2010, aucune négociation n’a eu lieu pour trouver un nouvel équilibre entre le pouvoir central et la province catalane. Le déni dans lequel se sont emmurés les gouvernements espagnols successifs n’a fait que renforcer la main des indépendantistes catalans, aux dépens de ceux qui défendent une solution fédérale.

La répression violente — et totalement disproportionnée — du référendum de ce dimanche ne peut que pousser dans la même direction. Le vivre-ensemble ne se décrète pas, il se construit. Et s’il a besoin de la force pour être maintenu, quelle légitimité peut-il avoir dans la durée ?

Les discours indépendantistes peuvent avoir des relents peu reluisants : « On en a marre de payer pour les autres. » Ils sont bien évidemment symptomatiques d’une tendance générale au repli sur soi individualiste, conforme à la doxa néolibérale qui a envahi notre univers de pensée depuis des décennies.

Une démocratie à plusieurs niveaux

Mais ils trouvent aussi un terreau favorable lorsqu’une langue et une culture se trouvent ignorées ou rabaissées : « S’ils ne veulent ni entendre ni parler notre langue, ils n’auront pas non plus notre argent » est un slogan qui peut facilement percuter. Il est frappant, alors que l’Espagne est un pays où cohabitent de nombreuses langues et cultures, que la seule langue qui ait cours dans les institutions de l’Etat à Madrid soit le castillan.

Etre fédéraliste, c’est soutenir une démocratie à plusieurs niveaux : local, régional, national, continental et, espérons-le, un jour, mondial. Cela suppose à la fois la subsidiarité, c’est-à-dire de traiter les enjeux au niveau le plus local, en tenant compte de la nécessité de l’efficacité. Mais aussi l’unité dans la diversité, c’est-à-dire la capacité d’agir ensemble tout en respectant et en intégrant la diversité de nos sociétés comme un atout et comme un objectif à défendre. Les arguments de ceux qui plaident pour l’indépendance de leur région mais en même temps pour plus d’intégration européenne sont incohérents. Détruire de la solidarité à un niveau pour en construire à un autre est contradictoire dans les termes.

En ce qui concerne l’Espagne, et à l’instar de ce que proposent les écologistes catalans d’Iniciativa per Catalunya Verds et espagnols d’Equo, une solution durable consisterait à créer une fédération. Cela impliquerait une répartition plus homogène des pouvoirs entre Etat central et régions, avec des institutions fédérales qui refléteraient les diversités linguistiques et culturelles, et pas seulement politiques, du pays. Une solution fédéraliste rassemblerait une majorité de Catalans et d’Espagnols. Elle est cependant devenue plus difficile à trouver du fait de la radicalisation de Madrid, laquelle a alimenté la cause indépendantiste catalane.

L’unité dans (et non malgré) la diversité

Ne nous y trompons pas, ce qui se joue en Catalogne en ce moment n’est pas seulement une affaire espagnole : elle touche l’Union européenne (UE) en ses fondations. Car qu’est-ce que l’Union européenne sinon la décision consciente de vivre ensemble sur ce continent, en réglant nos différends par le dialogue, la négociation et le compromis ? Notre devise n’est-elle pas l’unité dans (et non malgré) la diversité ? C’est tout cela qui se trouve mis en cause dans la crise constitutionnelle et politique espagnole.

Qui peut encore comprendre le silence et l’inaction de la Commission, gardienne de nos traités ? Qui pourrait comprendre que le Conseil européen (regroupant les chefs d’Etat à Bruxelles la semaine prochaine) ignore une crise qui, bien plus que le Brexit, peut mettre à mal l’esprit même de l’intégration européenne ?

S’il s’agit d’une affaire intérieure, c’est bien de celle de l’Union européenne qu’il est question. S’il faut intervenir pour aider à renouer le fil du dialogue entre l’Espagne et la Catalogne, c’est à l’UE de s’en charger. N’attendons pas que d’autres gestes unilatéraux soient posés, ce qui rendrait encore plus difficile une solution négociée. Notre crédibilité est en jeu.

Par Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts/ALE au Parlement européen.

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