C’est au tour de l’Afrique de diriger l’OMC

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) est mal en point. Le Cycle de Doha s’éternise. Les Etats-Unis paralysent le fonctionnement de l’organe d’appel. Le multilatéralisme régresse. Le commerce mondial post-Covid-19 est en attente de régulation. L’humanité s’interroge et le directeur général de l’OMC démissionne. Il faut lui trouver un remplaçant au pied levé. C’est le tour de l’Afrique!

L’élection d’un Africain à la tête de l’OMC aura des incidences positives sur la régulation du commerce mondial. Les Etats sont maîtres à l’OMC. Mais la vision et la capacité d’impulsion d’un directeur africain visionnaire peuvent avoir leur importance dans la définition de l’agenda de l’organisation et dans la redéfinition des priorités. Pour l’Afrique, ce sont des fenêtres d’opportunité qui s’ouvrent dans le système multilatéral et sur le continent. C’est la possibilité de faire bouger les lignes commerciales.

Ne pas passer la main

Nous avons eu Renato Ruggiero et Pascal Lamy (Europe), Mike Moore (Océanie), Supachai Panitchpakdi (Asie), Roberto Azevêdo (Amérique). De manière factuelle, tous les continents ont dirigé l’OMC. Sauf l’Afrique! S’il n’y a pas de référence juridique irréfutable pour revendiquer un tour, la règle non écrite prévaut. Il est peu diplomatique que d’autres pays ou d’autres régions du monde affichent des ambitions. Ils devraient tous retirer leurs candidats, à moins qu’il y ait une présomption d’incompétence managériale envers l’Afrique.

Par un vaste mouvement de courtoisie et de générosité, toute la communauté commerciale internationale devrait acter l’élection d’un futur directeur général africain de l’OMC. Ce serait le signal d’un écosystème commercial inclusif qui réajuste les inégalités de développement. Ce serait une belle synchronisation entre la règle un Etat/une voix et le principe un continent/une mandature.

Candidature unique

Par la suite, un autre consensus devrait venir des pays africains eux-mêmes. L’Union africaine (UA) a l’obligation de travailler à comprimer les ego et à imposer à ses membres la discipline de se conformer à une candidature unique consensuelle. Depuis Addis-Abeba, le nom du représentant de l’Afrique devra être choisi. Fermement! Quitte à appliquer des sanctions drastiques aux pays récalcitrants qui présenteraient des candidatures concurrentes. Les leçons du passé doivent être tirées et l’Afrique doit se présenter à l’OMC et à la face du monde avec un leadership authentique et univoque.

A ce jour, l’Afrique peine à se faire entendre à l’OMC. Elle n’utilise pas les outils commerciaux mis à sa disposition. Elle ne fait pas souvent passer ses points de vue. Elle ne se plaint jamais à l’organe de règlement des différends. Et personne ne se plaint d’elle, tant elle apparaît insignifiante.

En réalité, l’Afrique n’existe pas à l’OMC! Elle y subsiste à travers ses membres épars et par le groupe africain. Le groupe procède d’une bonne volonté de communion commerciale africaine. Il travaille à harmoniser les positions et essaie de parler d’une seule voix. La symbolique est utile. Mais le résultat est faible. L’Afrique à la manœuvre à l’OMC propulserait la symbolique unitaire vers une étape juridique pragmatique.

La faiblesse de l’Afrique est de n’avoir aucune de ses organisations économiques régionales comme membres de l’OMC. La solution est dans le droit de légation active des organisations régionales (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest-Cedeao, la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale – CEEAC, la Communauté d’Afrique de l’Est-CAE, etc.) qui enverraient leurs propres représentants auprès de l’OMC. Ces unions douanières remplissent les conditions d’adhésion à l’OMC. Leurs positions seraient mieux harmonisées, mieux défendues et gagneraient en crédibilité vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux. Ce serait une première étape dans le mandat d’un DG africain.

Union douanière africaine

L’étape suivante serait l’agrégation de toutes ces unions douanières régionales africaines en une Union douanière continentale qui adhérerait à l’OMC avec une voix unique adossée à celles des membres individuels africains. Une mandature pour impulser cette novation commerciale pouvant faire de l’UA un membre de l’OMC à moyen terme serait un succès.

La libéralisation intégrale du commerce international n’est pas encore pour l’Afrique. Elle a besoin d’une insertion progressive et doit préparer son économie à la concurrence internationale. Le système l’a si bien compris qu’un dispositif important de règles dérogatoires est prévu pour les pays en développement. C’est le traitement spécial et différencié applicable à tous les pays africains. Mais il reste incantatoire, cosmétique et avec une faible prise sur la réalité du commerce international. Les pays africains n’en profitent pas assez du fait de la boulimie libérale des pays développés.

Les règles exceptionnelles qui profiteraient au commerce africain existent donc, mais ne sont pas promues. La gouvernance occidentale y est pour beaucoup. Un directeur africain, avec le soutien des pays africains membres de l’OMC, n’aura pas à réinventer les possibilités de l’insertion de l’Afrique dans le commerce mondial. Il lui suffira de changer l’ordre des priorités et de transformer les potentialités en réalités commerciales.

Une conférence ministérielle en Afrique?

L’Afrique se démène dans plusieurs processus de négociations et de pratiques commerciales, sans en définir des lignes de cohérence claires. Depuis quelque temps, on assiste à une reprise en main volontariste qui essaie d’articuler les règles commerciales entre l’OMC, les Accords de partenariat économique (APE), les règles communautaires, les nouvelles règles de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) et les lointaines dispositions du traité d’Abuja.

L’Afrique prend conscience de ses engagements commerciaux multiples et travaille à les rationaliser. Un leadership mondial reconnu à travers la direction de l’OMC favoriserait l’accélération de ce processus. Pour la première fois, l’Afrique aurait un agenda commercial fait d’engagements qui mettent ses intérêts dans le bon ordre de priorités. L’Afrique a toujours négocié à rebours à l’OMC, en tentant de rattraper ses retards du Cycle d’Uruguay et en s’accommodant du Cycle de Doha, sans prospective.

Le monde Post-Covid-19 qui se dessine et l’affirmation d’un leadership africain assumé sont les éléments d’un ordre commercial nouveau qu’il convient de façonner, sans tarder. A cet effet, l’organisation d’une deuxième conférence ministérielle de l’OMC en Afrique, après Nairobi en 2015, serait stratégique. Dakar, à l’extrême ouest du continent, pourrait l’accueillir en 2023.

El Hadji Abdourahmane Diouf, Docteur en Droit International Economique. Directeur Exécutif du Club des Investisseurs Sénégalais.

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