C’est le Vanuatu qui doit nous aider

Comme dans toute tragédie environnementale de cette ampleur, les jours qui suivent le passage du cyclone Pam au Vanuatu sont terribles. Ce petit pays qui fait rarement parler de lui se retrouve à la « une » de tous les journaux. Des témoignages effrayants nous parviennent, comme celui d’une résidente de longue date qui décrit « le bruit d’un train de marchandises qui passerait le long de [sa] maison ». Ou d’autres, qui nous racontent avoir entendu, terrorisés, le fracas des arbres arrachés, réfugiés dans un abri de fortune ou dans un container à marchandises.

L’attente, ensuite, insoutenable : car si des nouvelles sont rapidement parvenues de la capitale, Port-Vila, le reste du pays est coupé de toute communication. Dans cet archipel de 80 îles, dont la plupart ne possèdent pas de moyens de transport réguliers, le nombre des victimes est sans doute plus élevé qu’on ne le pense. Il faudra sans doute des semaines pour que l’on connaisse les véritables dégâts causés par Pam.

Passées la stupeur, puis l’angoisse, vient le temps de la colère. Est-il vrai que ce cyclone est une conséquence directe du réchauffement climatique ? Le récit comme les images apocalyptiques du passage de ce « monstre », selon le président du pays, Baldwin Lonsdale, devraient alors nous servir de leçon. Certes, le Vanuatu, pays tropical, en a connu d’autres. Tempêtes tropicales, tremblements de terre, volcans en activité… Ce pays insulaire n’est pas à l’abri de ces calamités qu’on dit « naturelles ».

Mais jamais il n’avait connu de catastrophe d’une telle ampleur, bien que le cyclone Beti (1987) continue de hanter les plus âgés. Le « pays qui se tient debout » (signification de Vanuatu), considéré comme pauvre selon les critères internationaux, est aujourd’hui à genoux.

L’environnement leur seul bien

Le Vanuatu a pourtant des ressources : 80 % environ de la population y vit en grande partie de manière autosuffisante. Autrefois, quand il n’existait ni Etat, ni aide internationale, la population possédait d’ailleurs un ensemble de techniques pour faire face aux catastrophes : nourriture enterrée avant le passage d’un cyclone, culture de plantes plus résistantes en cas d’intempéries, techniques d’architecture faites pour résister aux tempêtes…

Les savoirs traditionnels permettaient aussi de protéger des vies : il y a cinq ans, alors qu’un tsunami risquait de frapper le pays, les habitants des villages les plus isolés, vivant encore largement selon les règles de la kastom (la coutume), s’étaient réfugiés dans les collines, quand beaucoup de leurs homologues urbains s’étaient rendus en bord de mer pour « voir la vague arriver ». Il est d’ailleurs probable que les habitants des zones rurales reprendront plus rapidement un cours de vie normal que les urbains, habitués qu’ils sont à ne compter que sur eux-mêmes pour produire leur nourriture et leur logement. Et conscients qu’ils sont, aussi, que l’environnement est leur seul bien.

N’allons pas pour autant affirmer naïvement que tout était mieux avant, et que les savoirs traditionnels auraient pu protéger la population de cette catastrophe sans précédent à l’échelle d’un pays. Mais il y a lieu de se demander quelles leçons nous pouvons tirer de cette tragédie et de reconnaître que nous en sommes doublement responsables, en partie au moins : tout d’abord, par la persistance d’inégalités profondes dans nos modes de vie qui entraînent, on le sait, un désordre climatique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Un réchauffement global qui a pour conséquence la multiplication et l’aggravation des crises climatiques. Et d’autre part par une sorte d’injonction au développement qui a entraîné au Vanuatu, comme dans nombre d’ex-colonies, un accroissement urbain incontrôlé.

L’inflation de la population urbaine à Port-Vila, une capitale qui n’a jamais été pensée comme une ville mais seulement comme un petit centre administratif colonial, a des conséquences écologiques dramatiques : sur un terrain très accidenté (l’île est volcanique) l’arrachage de la plupart des arbres ne permet plus de retenir les eaux de pluie. Depuis plusieurs années, certains quartiers, comme le très emblématique Seven Star, sont ainsi régulièrement inondés. Et l’essentiel de la population urbaine vit dans des habitations de fortune en tôle ondulée.

Parmi les premiers pays

Depuis 2007, le gouvernement, à l’initiative de politiciens réformateurs comme le ministre des terres Ralph Regenvanu (ancien directeur du Centre culturel du Vanuatu), a entrepris de promouvoir, certes timidement, la kastom ekonomi, l’économie traditionnelle, qui permettait à la population de vivre autrefois de manière autarcique.

Faible impact de l’homme sur l’environnement, importance du temps passé avec ses enfants, moindres inégalités sociales : à « l’indice de développement du bonheur humain » (qui se veut concurrencer le calcul uniquement économique du produit intérieur brut classique) le Vanuatu arrive d’ailleurs régulièrement parmi les premiers pays du monde. Il a même été élu « pays le plus heureux du monde » en 2006 par l’ONG Friends of the Earth. Mais, dans le même temps, sous la pression des politiciens « prodéveloppement » et des investisseurs étrangers, le Vanuatu a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour mieux intégrer l’économie mondiale.

Cette valse-hésitation entre deux modèles d’économie semble avoir aujourd’hui atteint ses limites. S’il est avéré que le cyclone Pam n’est pas une catastrophe naturelle, mais un « monstre » créé par l’homme, ne serait-il pas temps de considérer un peu mieux les avantages que procurent certaines alternatives concrètes, éprouvées par des siècles de vie sans le secours de l’Etat ou de l’aide internationale ?

Nous exerçons toujours une influence énorme sur les orientations politiques et économiques du Vanuatu, par nos conceptions de l’économie et du développement : il est dommage que le contraire ne soit pas aussi vrai, car nous aurions intérêt à nous inspirer d’un pays où la population a toujours su vivre en autarcie, dans un environnement pourtant très hostile. Il est urgent, aujourd’hui, d’aider le Vanuatu. Mais il est tout aussi urgent de comprendre qu’il peut également nous aider, à condition de tirer les leçons de ce drame environnemental planétaire contemporain.

Eric Wittersheim, anthropologue, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il est membre de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS). Il mène des recherches au Vanuatu depuis une vingtaine d’années. Il est notamment l’auteur d’Après l’indépendance. Le Vanuatu, une démocratie dans le Pacifique (Aux Lieux d’Etre, 2006) et, avec Dorothée Dussy, de Villes invisibles. Anthropologie urbaine du Pacifique (L’Harmattan, 2013).

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