Cette fois, il faut agir

Nos dirigeants nous déçoivent ! Alors que les effets douloureux des plans d'austérité commencent à se faire sentir, les citoyens de l'Union européenne s'interrogent de plus en plus sur la capacité de leurs dirigeants à faire payer le secteur financier pour les dégâts qu'il a causés. Quant aux nouvelles réglementations destinées à empêcher une nouvelle crise, elles restent elles aussi dangereusement incomplètes.

Instaurer un régime de taxe sur les transactions financières (TTF) permettrait de progresser sur ces deux fronts. L'engagement pris par les dirigeants européens à la veille du G20 de soutenir la mise en place d'une telle taxe est certes une bonne chose, mais il sera considéré comme un nouvel effet de manches s'il n'est pas suivi de mesures énergiques. Voici ce que les dirigeants européens doivent faire.

Tout d'abord, dites à vos collègues du G20 qu'avec ou sans leur soutien, l'Europe ira de l'avant sur cette question. Jusqu'à la moitié de plus de 200 milliards de dollars qui pourrait être ainsi récupérée dans la seule Union européenne bénéficiera à des contribuables extérieurs à l'Union. Il y aura à la clé un avantage pionnier dans la mise en place des TTF.

Ensuite, envisagez les TTF non comme un impôt mal taillé à taux uniforme seulement destiné à accroître les recettes, mais comme des instruments chirurgicaux pouvant être utilisés avec souplesse pour atteindre de multiples objectifs. Les taux des TTF devraient être variables en fonction des marchés et au fil du temps. Les marchés complexes et opaques comme ceux des dérivés de gré à gré devraient être pénalisés par un taux plus important afin de prendre en compte leur contribution au risque systémique.

De plus, les taux des TTF pourraient être rehaussés pour freiner des marchés financiers en surchauffe ou au contraire abaissés en cas de ralentissement. Cela constituerait un bon amortisseur des marchés qui viendrait s'ajouter aux exigences contracycliques de fonds propres prévues pour les banques. Cela endiguerait l'accumulation du risque excessif.

Troisièmement, servez-vous des TTF pour réduire l'évasion fiscale. Dans un passé récent, l'Inde et le Brésil ont utilisé l'information générée par la collecte de taxes sur les transactions pour lutter contre l'évasion fiscale et un responsable chinois a récemment suggéré de taxer les marchés des devises afin d'identifier les spéculateurs.

Cette information, générée par l'enregistrement électronique du niveau de transaction, contribuera non seulement à lutter contre l'évasion fiscale en cette période critique de baisse des recettes de l'impôt, mais aidera également les régulateurs financiers à mieux contrôler la prise de risque. Les transactions opérées avec des juridictions opaques à faible imposition pourraient également être pénalisées par une forte taxe.

Quatrièmement, ayez à l'esprit qu'une TTF rendrait peu rentables certaines formes de trading algorithmique. En diminuant l'importance de ces opérations générées par ordinateur qui suivent les tendances et ont contribué aux dislocations du marché survenues en août 2007 puis en mai 2010, les TTF réduiraient le risque systémique et détourneraient les marchés d'une orientation excessive sur le court terme.

L'industrie financière fera sans aucun doute la grimace. Laissez faire. Les électeurs y verront le signe que vous agissez enfin dans la bonne direction. Quoi qu'elle en dise, l'opposition de l'industrie à une taxe supplémentaire ne se fonde pas sur des doutes sincères concernant sa faisabilité ni sur des inquiétudes concernant l'efficacité des marchés, mais uniquement sur ses propres intérêts.

Il est temps que vous dépassiez les arguments ressassés de l'industrie financière selon lesquels "la finance, c'est de la science spatiale, vous n'y comprenez rien ; si vous essayez d'y changer quelque chose, le système s'effondrera... alors laissez-nous tranquilles." Nous autres contribuables payons aujourd'hui le prix fort pour avoir laissé la finance agir à sa guise.

L'industrie clamera que ce sont les petits épargnants qui pâtiront le plus. Vous devriez instituer un système d'exemption et de remboursement pour tous les épargnants ayant moins de 50 000 euros d'économies. Problème résolu.

L'industrie prétendra que des taux de taxation élevés feront du tort au marché. Commencez par instaurer une taxe à taux très faibles que vous augmenterez progressivement en fonction d'évaluation d'impact régulière. Argument contré.

L'industrie affirmera que beaucoup parviendront à se soustraire à la taxe. Avec des taux de taxation faibles, qui rapporteraient quand même des recettes significatives, ce que coûterait le fait de vouloir échapper aux taxes excéderait ce qu'il en coûterait de s'en acquitter. De surcroît, le caractère de plus en plus électronique des transactions, les nouvelles réglementations en matière de centralisation des transactions et d'enregistrement des dérivés et une surveillance plus étroite rendront beaucoup plus difficile d'échapper aux TTF que ça ne l'est aujourd'hui. Fraude neutralisée.

L'industrie dira qu'une taxe sur les banques suffit. C'est faux. Un prélèvement effectué sur les bilans des banques affectera en premier lieu les banques commerciales. Si les choses se déroulent correctement, c'est une bonne idée, mais cela risque d'avoir pour effet de détourner le crédit des banques vers le système bancaire fantôme et les marchés financiers. En affectant essentiellement les hedge funds (fonds spéculatifs) et les gestionnaires d'actifs, les TTF enrayeraient ce risque et établiraient un environnement compétitif équitable entre banques et marchés. Taxe bancaire et TTF, et non taxe bancaire ou TTF.

Les arguments en faveur des TTF sont difficilement contestables. Nous vous exhortons à ne pas nous décevoir à nouveau. Cette fois, vous devez agir !

Sony Kapoor, ex-banquier d'investissement, directeur général du club de réflexion international Re-Define et conseiller auprès du Parlement européen. Traduit de l'anglais par Gilles Berton.