Cette funeste conférence climatique ne changera rien

Evidemment, la COP21 sera un naufrage. Evidemment, on la présentera comme un triomphe de la société humaine. Il serait facile de moquer la petite armée planétaire des experts, adeptes enamourés d’une novlangue qu’eux seuls connaissent. Franchement, qui comprend des vocables comme QUELROs, INDC (en français loufoque : « contributions prévues déterminées au niveau national »), CPDN,AIJ ? Tous ces acronymes anglais sont le quotidien de juristes et de diplomates que nul ne connaît et qui n’ont donc aucun compte à rendre aux peuples directement concernés. Au reste, les peuples existent-ils ?

Mais bien sûr, il faut aller plus loin. Qui a créé le cadre de la supposée « négociation sur le changement climatique » ? Un nom s’impose, et c’est celui de Maurice Strong. Pratiquement inconnu en France, cet homme, né en 1929, et qui vient de mourir le 28 novembre, peut se vanter d’une vie hors du commun. Côté pile, il a été le vice-président, le président ou le PDG de firmes transnationales nord-américaines : Dome Petroleum, Caltex (groupe Chevron), Norcen Resources, Petro-Canada, Power Corporation. Au cœur, l’énergie. Au cœur, le pétrole.

Côté face, Maurice Strong va incarner le tournant planétaire de l’ONU vers ce que l’on n’appelle pas encore le « développement durable ». Tour à tour, il ouvre le premier des Sommets de la Terre de Stockholm, en 1972, puis préside le Programme des Nations unies pour l’environnement, lancé dans la foulée. Tout en étant président de Petro-Canada – de 1976 à 1978 –, puis conseiller du directeur de la Banque mondiale et de Toyota, entre autres.

Evénements majeurs

Il faut insister sur deux événements majeurs. Tout d’abord, le Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Maurice Strong, qui en est le grand organisateur officiel, choisit comme adjoint et bras droit un certain Stephan Schmidheiny. Ce dernier est l’héritier d’une dynastie industrielle – Eternit –, qui a fait sa fortune grâce à l’amiante. Le 3 juin 2013, il a été condamné à dix-huit années de prison en tant qu’ancien dirigeant d’Eternit sur décision d’une cour d’appel italienne. Peine à laquelle il échappera pour des motifs de prescription. Que lui reproche-t-on ? La mort par l’amiante de 3 000 ouvriers italiens.

Après le sommet de Rio, Schmidheiny se lance dans une nouvelle opération en créant le Conseil mondial des affaires pour le développement durable. Près de 200 sociétés industrielles en font partie, dont les grands amis du climat que sont Syngenta, BASF, Bayer, DuPont, Total, Shell, Dow. En 2002, il publie le livre Walking the Talk (BK Editions). Parmi soixante-sept autres monographies, l’une est consacrée au delta du Niger, martyr écologique s’il en est, où la Shell aurait selon l’ouvrage « une longue histoire d’assistance aux communautés auprès desquelles elle travaille ».

Deuxième rendez-vous capital : Kyoto, où se réunit en 1997 la troisième Conférence mondiale sur le climat. Maurice Strong, devenu sous-secrétaire général des Nations unies, y prononce le discours inaugural. Une seule conclusion s’impose : le système onusien est entre les mains d’industriels aux mains sales, de ceux qui vantent encore, et toujours, l’usage de combustibles fossiles qui aggravent la situation climatique.

Pourquoi s’acharner sur ces deux cas sidérants ? Eh bien, parce qu’ils semblent avoir montré l’exemple. Commençons par Brice Lalonde, l’un des fondateurs du mouvement de l’écologie politique en France. Devenu sur le tard un ferme soutien de la droite libérale, incarnée un temps par Alain Madelin, il aime tant l’entreprise qu’il est devenu il y a quinze ans l’un des cadres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), temple de l’industrie, où il organise à la fin des années 2000 des tables rondes auxquelles se précipitent les grands patrons de la planète.

En 2007, Nicolas Sarkozy, à peine élu, le nomme « ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». C’est le retour sur le devant de la scène, et pas seulement nationale. En 2010, Brice Lalonde devient le « coordonnateur exécutif » du deuxième Sommet de la Terre de Rio, qui doit avoir lieu en 2012. La même place que Maurice Strong en 1992.

Brice Lalonde ne dissimule aucunement ses choix politiques et moraux. Interrogé le 17 mars 2014 sur Europe 1, il se déclare en faveur des gaz de schiste, pourtant moyen certain de relancer l’émission de gaz à effet de serre. Avec, au passage, un argument désopilant : « Le gaz de schiste, il est bon aux Etats-Unis, pourquoi est-ce qu’il serait mauvais en France ? »

Absurde appétit de biens matériels

Reste le cas Laurence Tubiana. Inlassable participante des conférences climatiques depuis vingt ans, elle est de gauche. Le 15 mai 2014, elle est nommée « représentante spéciale du gouvernement français » pour la COP21. Le 3 juin, elle devient « ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique ». Comme Brice Lalonde ? Comme Brice Lalonde. Or, elle a tout de même créé puis dirigé l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

L’IDDRI est un think tank de plus où l’on multiplie colloques, rapports et conférences. Comme celle organisée en octobre 2007 en l’honneur du roi du soja transgénique, le Brésilien Blairo Borges Maggi. On s’étonnera – ou pas – que parmi ses membres fondateurs se trouvent EDF, Entreprises pour l’environnement (EPE), GDF Suez, Lafarge, Saint-Gobain, Veolia Environnement. Et dans EPE, des industriels aussi responsables que ceux de Bayer, BASF, Vinci, Total, Solvay, Thales.

Où veut-on en venir ? D’abord cette précision essentielle en ces temps conspirationnistes : il n’y a évidemment pas complot. Ces faits ne sont pas cachés, même s’ils sont parfois savamment évacués. Il est possible, il est même plausible, que ces personnes aient leur part de sincérité. Mais la question de la responsabilité des transnationales dans le drame biblique en cours ne peut être esquivée. La logique de ces entreprises est de forer, d’extraire, de manufacturer et de vendre. Et ce faisant, d’entretenir comme le feu sous la soupe, le dérèglement climatique.

Il est évident que le cadre de la COP21 interdit toute vérité. Car lutter contre le dérèglement climatique impose de revoir pour de vrai notre absurde appétit de biens matériels. Lesquels sont, jusqu’à plus ample informé, le moteur – véritablement à explosion – de l’industrie et des entreprises prisées par ces quatre personnes. Par une publicité purement et simplement criminelle. Le dérèglement en cours s’explique en bonne partie par la prolifération d’objets inutiles, dont la production et l’élimination menacent de mort les principaux écosystèmes.

Arrêtons de répéter sans jamais agir qu’il faut changer notre façon de vivre et de consommer. L’heure est arrivée de mettre concrètement en cause la voiture individuelle, les écrans plats, les iPhone, le plastique, l’élevage industriel, le numérique et ses déchets électroniques, les innombrables colifichets – jouets, chaussures, cotonnades et vêtements, cafetières, meubles – venus de Chine ou d’ailleurs, les turbines, centrales, avions, TGV, vins, parfums partant dans l’autre sens.

N’est-il pas pleinement absurde de croire qu’on peut avancer en confiant la direction à ceux-là mêmes qui nous ont conduits au gouffre ?

Fabrice Nicolino est journaliste et essayiste, auteur d’Un empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète (Les Liens qui libèrent, 2014) et Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture (Les Echappés, 124 pages, 13,90 euros).

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