Changement climatique et relations internationales

Changement climatique et relations internationales

Face au réchauffement, de plus en plus de citoyens se joignent aux nombreuses personnalités du monde scientifique pour tirer la sonnette d’alarme: manifestations des écoliers, témoignage émouvant de Greta Thunberg, mise en garde du secrétaire général de l’ONU à Davos. Ces appels ne sont que les derniers d’une longue liste. Ces citoyens déplorent aujourd’hui l’absence de progrès perceptible en matière de lutte contre le réchauffement depuis l’Accord de Paris de 2015 qui fixait comme objectif souhaitable une limitation du réchauffement à 1,5°C.

En réalité la situation est plus grave encore que le public ne l’imagine. En effet, cela fait non pas trois mais vingt-sept ans, soit depuis l’adoption de la Convention-cadre sur le changement climatique de 1992, que le monde politique brille par sa passivité face à ce problème. Quelques pays occidentaux avaient certes convenu en 1997, dans le cadre du Protocole de Kyoto, de se fixer à l’horizon 2012 un objectif de réduction globale des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5,2% par rapport aux émissions de 1990. Cela n’a pas empêché celles-ci d’augmenter de plus de 50%. En 2009 les deux plus gros émetteurs de GES de la planète, les Etats-Unis et la Chine, ne sont pas parvenus à s’entendre sur un engagement de réduction chiffrée des émissions, faisant de la COP15 à Copenhague, qui devait baliser l’après-Kyoto, un échec retentissant. Et en 2010, tirant les conséquences de cet échec, trois Etats signataires du Protocole, le Japon, la Russie et le Canada, renonçaient ouvertement à s’imposer la moindre limitation de leurs émissions tant que les Etats-Unis, la Chine et l’Inde n’en feraient pas autant. Dès lors, la COP21 à Paris avait pour mission de réparer les dégâts. Sans véritable succès.

Le climat comme enjeu de conflit

Il y a donc lieu de penser que les avertissements et appels à l’action pourront se succéder longtemps encore sans obtenir de résultat tangible. Pourquoi ce blocage? Le changement climatique constitue le théâtre d’un phénomène connu par les psychologues sous le nom de «dilemme du prisonnier», un cas d’école illustrant l’opposition entre intérêt général et intérêts particuliers. L’explication du comportement paradoxal, voire irrationnel, des politiques qui, en laissant «filer» le changement climatique, négligent l’intérêt général est à rechercher dans les motivations humaines. Ainsi que l’avait relevé Abraham Maslow, une fois ses besoins de base satisfaits, l’homme est très largement motivé par un besoin d’estime personnelle. Or pour nourrir l’estime de soi d’un homme politique, quoi de mieux que l’admiration enthousiaste de ses électeurs?

Le changement climatique est ainsi devenu le lieu d’un conflit manifeste entre l’intérêt général de l’humanité et le libre jeu des ambitions personnelles des dirigeants nationaux. Le dilemme pour un chef de gouvernement dans nos régimes politiques électifs peut se résumer ainsi: soit il consacre ses efforts à réduire drastiquement les émissions de GES de son pays en faisant perdre à ce dernier des points de croissance et de compétitivité et sa popularité tombe alors en chute libre, écourtant sa carrière politique; soit il choisit d’accroître la compétitivité, laissant à plus tard la réduction des émissions de GES, et il sera reconduit dans ses fonctions avec brio lors des prochaines élections.

L’Europe en facilitateur

Le besoin de notoriété des hommes politiques dicte non seulement la réponse des Etats face à l’enjeu du réchauffement planétaire, mais détermine de manière plus générale la nature des rapports entre Etats, caractérisée non par l’esprit de coopération, mais par la rivalité. Et c’est probablement là que se trouve le principal blocage. Il nous faut un nouveau modèle de relations internationales basé sur la reconnaissance d’un intérêt général mondial. Ce modèle pourrait être celui d’un monde multipolaire assumé, c’est-à-dire un ordre mondial où l’influence planétaire serait partagée par plusieurs pôles, grandes puissances ou confédérations d’Etats, au service de l’intérêt général et donc en laissant de côté toute ambition de marquer l’histoire. Outre les Etats-Unis d’Amérique, ces pôles pourraient inclure l’Union européenne (UE), la Russie et la Chine, ainsi que certains grands Etats du Sud tels que l’Inde, le Nigeria ou le Brésil.

Dans le contexte de crise que connaît actuellement le monde, l’UE pourrait fort bien, mettant fin à son inféodation aux Etats-Unis, se donner pour mission de faire advenir ce nouveau paradigme. Il semble bien que son histoire fasse d’elle un candidat privilégié pour devenir, sinon l’auteur, du moins le facilitateur d’un tel changement. Son grand atout est en effet d’avoir réussi, après des siècles de guerres internes, à constituer une confédération d’Etats basée sur le renoncement à toute volonté de domination, pour le plus grand bien de leurs populations.

Michel Stevens, conseiller en gestion durable.

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