Changez votre stratégie en Syrie, M. Obama

Monsieur le Président Obama, je vous adresse une lettre ouverte, et je reste accroché à ce peu d’espoir comme on s’accroche, de nos jours, pour vivre sur cette planète malgré tous les maux qui nous assaillent. Et c’est moi, Najati Tayara, citoyen syrien, ou plutôt projet de citoyen en mal d’achèvement, qui décide de vous l’adresser.

Nous avons, dans le passé, ressenti votre victoire à l’élection présidentielle comme un tournant dans l’histoire de votre grand pays, marquant le progrès de l’égalité citoyenne et la maturité de la démocratie américaine, et nous y avons perçu la future préférence donnée dans votre politique étrangère à des solutions pacifiques et diplomatiques plutôt qu’aux interventions militaires systématiques.

A cet égard, vos décisions de vous retirer d’Irak et de fermer la prison de Guantanamo se voulaient une illustration de cette nouvelle politique, tranchant avec l’ancienne politique de l’Amérique impérialiste et égoïste, source de l’hostilité que beaucoup de peuples, en particulier dans notre région, ressentent envers les Etats-Unis.

Nous nous souvenons tous de vos discours prononcés après votre élection, à l’occasion de vos voyages dans le monde, qui ont joué un rôle décisif dans ce changement d’image. Mais depuis, permettez-moi franchement de vous dire que votre politique extérieure dessine une image assombrie des Etats-Unis chez nos peuples arabes. Notamment en ce qui concerne les événements tragiques qui secouent notre pays, la Syrie.

Droit de légitime défense

Vous savez que la révolution dans notre pays voulait le changement et la réforme. Elle est restée pacifique pendant ses six premiers mois et, de ce fait, a bénéficié de la sympathie populaire et de l’appui international le plus large. Mais quand elle a été forcée de prendre les armes pour user du droit de légitime défense du peuple face aux massacres sans précédent perpétrés par le régime, votre administration a pratiqué un embargo sur les armes, et a fait pression pour bloquer l’armement en provenance de vos alliés régionaux.

Le comble fut votre reculade sur les lignes rouges que vous aviez vous-même tracées à l’intention du dictateur en lui interdisant de faire usage des armes chimiques contre son peuple. Il passa outre et bombarda aux gaz, le 21 août 2013, la Ghouta de Damas, tuant 1 500 personnes dont la majorité était des civils, femmes et enfants. En ce jour, vous avez décidé, avec la plupart des dirigeants du monde occidental, de punir ce régime criminel dont nombre de ses officiers jetèrent l’uniforme pour préparer leur fuite.

Votre reculade, ensuite, créa la surprise et entraîna sur la même voie les autres dirigeants occidentaux. Vous avez accepté une transaction avec le régime de Damas, dont Vladimir Poutine, l’ami et l’associé du dictateur, était l’intermédiaire. En quelques mois, le criminel était de nouveau libre pour perpétrer ses massacres à coups de barils de poudre, de missiles et d’artillerie. Vous avez, en ce jour, effacé vos lignes rouges et offert de votre pays l’image d’une Amérique peu soucieuse de ses valeurs.

Etats voyous

Je vous l’assure, Monsieur le Président, ni moi ni les autres démocrates syriens ne voulions vraiment la guerre et nous croyions sincèrement qu’une pression forte sur ce régime, qui avait pratiquement commencé à déguerpir avant que la Russie ne prenne, à la dernière heure, l’initiative de le sauver, suffirait. Votre reculade a permis aux Etats voyous et à leurs nouvelles dictatures de type religieux comme en Iran, mafieux comme en Russie, ou sectaire comme en Syrie, de martyriser leurs peuples et d’intervenir par la force dans les affaires des autres.

L’Iran avait ainsi débuté son intervention en Syrie à partir de 2011 aux côtés des forces armées de Bachar Al-Assad et à travers son bras armé, le dénommé Hezbollah, ou « Parti de Dieu », puis avec ses conseillers et officiers, et enfin ses gardiens de la révolution. Cette intervention iranienne franche et massive aux côtés de la dictature syrienne a provoqué la destruction de plus de la moitié de la Syrie, pendant que le monde occidental, dont vous êtes le principal dirigeant, négociait sur le nucléaire iranien pour un dénouement que vous avez voulu pacifique. L’Iran négociait la paix avec vous, d’une main, et, de l’autre, elle violait la paix et les droits de notre peuple en Syrie, au vu et au su du monde entier.

Aujourd’hui même, la Russie occupe notre pays, avec la bénédiction de l’Eglise russe, comme si on voulait nous ramener aux croisades et aux guerres de religion. Les bombardements russes visent dans leur quasi-totalité des civils et les positions de l’opposition syrienne modérée, épargnant les extrémistes et en particulier Daech. Ainsi l’occupation russe, par ses frappes militaires et malgré ses justifications maladroites, vise à nettoyer les zones situées entre Daech et les troupes du régime, de façon à partager la Syrie en deux, nouvelle preuve s’il en était besoin que l’intervention russe cherche principalement à soutenir la dictature de Bachar Al-Assad et non à combattre le terrorisme.

Monsieur le Président, en toute franchise, les Etats voyous et les dictatures ont retrouvé de la vigueur dans les failles de votre stratégie de paix et dans votre tendance à renoncer à l’usage de la force pour résoudre les conflits. Ils se placent au point névralgique au Moyen-Orient, imposant leur propre conception de la légitimité et des accords internationaux, et se moquant de la mort de centaines de milliers d’êtres humains et de l’expulsion de leurs villes détruites de plusieurs millions de personnes devenues des sans-abri puis des réfugiés. Naturellement, la Russie et l’Iran ne vont pas en rester là. Ils continueront, tant que vous pratiquerez une politique de désengagement, et joueront des rôles analogues à celui qu’ils ont joué en Syrie, comme en Ukraine.

Le véritable allié israélien de Washington

Par conséquent, les Etats-Unis s’exposent à perdre leur leadership dans le monde, au point que les déclarations des responsables finiront par avoir aussi peu de poids que les déclarations des personnes neutres ou des journalistes. Certes, d’aucuns pourront dire que, par cette politique, l’Amérique laisse la Russie et l’Iran s’embourber au Moyen-Orient, pour faire émerger le véritable allié israélien de Washington comme force principale de la région.

Tout cela n’implique pas que l’on vous demande de recourir à la force pour résoudre la question syrienne. Je pense que le reste des Syriens, et surtout les démocrates, partagent mes positions. Et je maintiens qu’une attitude ferme et sérieuse de votre gouvernement et des gouvernements occidentaux sera de nature à stopper l’intervention russe et celle de l’Iran, afin d’ouvrir la voie à l’irremplaçable solution politique pour l’avenir de la Syrie.

Une solution qui commencerait par appliquer les dispositions de la « déclaration de Genève » [Accord à Genève sur les principes d’une transition en Syrie, juin 2012]. S’il est vrai que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, la politique est aussi une forme de guerre à laquelle vous pourriez recourir si vous êtes toujours désireux de donner de votre pays une bonne et nouvelle image, comme nous l’avions senti dans votre discours à l’université du Caire, qui a réveillé, chez beaucoup d’entre nous, confiance et espoir.

Najati Tayara, originaire d’Homs (Syrie), s’est réfugié en France en 2012.

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