Chaos au cœur de l’Afrique

La salle d’audience du palais de justice de la ville de Bambari n’a ni portes ni fenêtres. Le siège du juge, les tables et les chaises ont tous disparu, pillés. Le sol est jonché de papiers - des restes d’archives et de registres publics. J’ai ramassé quelques feuillets éparpillés ; certains documents dataient de l’époque coloniale. Le système judiciaire de la République centrafricaine ressemble aujourd’hui à cette salle d’audience. En dehors de la capitale, Bangui, il n’y a ni police, ni procureurs, ni juges, mais les forces de la coalition Séléka, qui ont pris le contrôle du pays en mars (1), et qui sont présentes, partout. Ses membres ne perçoivent pas de salaires ; à la place, ils érigent des barrages routiers, extorquent les gens sur le marché ou pillent les maisons.

Mais ils ne font pas que piller. A l’hôpital de Bambari, j’ai rencontré un certain nombre de leurs victimes. Il y avait Martine, 18 ans, qui était enceinte de quatre mois quand elle a été violée. Elle a perdu l’enfant qu’elle portait. Solange, veuve et mère de cinq enfants, a été violée alors qu’elle vendait du café sur le bas-côté de la route. Annette, quant à elle, a reçu une balle dans le bras parce qu’elle ne voulait pas laisser le peu d’argent qu’elle avait gagné au marché. De nombreuses personnes ont été tuées, mais l’on ne connaît pas les chiffres exacts. J’ai visité un lieu qui est censé abriter une fosse commune. Dans l’attente d’une enquête formelle, les habitants des alentours ont affirmé que des personnes avaient été sommairement exécutées. Cependant, ils n’ont pas été en mesure d’identifier les responsables comme membres des forces du régime de l’ancien président déchu, Bozizé, ou membres des forces de la Séléka.

La mauvaise gouvernance, la corruption, le manque d’attention accordée au nord et les pratiques discriminatoires à l’encontre de ses populations majoritairement musulmanes ont caractérisé l’ancien régime de Bozizé. Aussi, quand des combattants du nord, soutenus par ceux du Tchad et du Soudan, se sont lancés à l’assaut du pays et de sa capitale, ils ne se sont vus opposer qu’une très faible résistance. Les troupes de Bozizé ont détenu arbitrairement, torturé et exécuté sommairement les partisans supposés de la Séléka. Mais quand la Séléka a pris le contrôle, les actes de violences et de destructions ont atteint un niveau sans précédent dans ce pays déjà si marqué par des dizaines d’années d’instabilité et de conflit.

Par peur d’être tués ou violés, nombreux sont les civils à s’être cachés en brousse. La recrudescence du paludisme et d’autres maladies, le taux élevé de mortalité maternelle et la malnutrition pourraient causer plus de morts que les violences liées au conflit. Dans certaines parties du pays, moins de 20% de la quantité habituelle de semences ont été plantées et une pénurie sévère de nourriture est attendue début 2014.

La sécurité dans la ville de Bangui s’est améliorée. Suite à l’intervention de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC), de l’Union africaine et la communauté internationale élargie, un gouvernement relativement inclusif a été mis en place. Pourtant, ce gouvernement est très faible et a peu d’influence en dehors de la capitale. Les écoles publiques n’ont pas rouvert depuis décembre et moins d’un établissement médical sur cinq fonctionne aujourd’hui. Si la sécurité ne s’améliore pas, les professeurs et les docteurs qui ont trouvé refuge à Bangui ne pourront pas retourner sur leurs lieux de travail ; plus de 650 000 enfants manqueront une autre année scolaire ; un autre cycle de récolte sera perdu ; et d’autres personnes seront tuées ou violées. Les divisions ethniques et religieuses seront accentuées, augmentant le risque d’une guerre civile qui pourra déstabiliser toute la région. De nombreuses victimes s’estiment visées à cause de leur foi chrétienne, et certains m’ont même dit : «Les musulmans représentent moins de 15% de la population totale du pays ; nous leur rendrons la monnaie de leur pièce.»

Malheureusement, la crise reste largement en dehors du champ d’attention des médias et de la communauté internationale. La République centrafricaine n’a pas un nombre de victimes à six chiffres ou la proximité d’avec l’Europe, comme c’est le cas du Mali. Dans cet Etat de non-droit au cœur de l’Afrique, dont la superficie est plus grande que celles de la France et de la Belgique réunies, l’Armée de résistance du seigneur a déjà trouvé un sanctuaire d’où ils agissent et recrutent. Les rebelles du Darfour et du Tchad ainsi que les groupes islamistes extrémistes du Mali, du Nigeria ou de la Somalie, pourraient, eux aussi, bientôt en faire autant. Mais qui peut assurer la sécurité ? D’un côté, les anciens gendarmes et policiers ne peuvent revenir car leurs anciens ennemis, la Séléka, se méfient d’eux. De l’autre, les forces de la Séléka ne peuvent pas assurer la protection des civils car la population ne leur fait pas confiance. L’intégration, la formation conjointe et le déploiement d’un nombre limité d’éléments des anciennes forces de défense et de sécurité et d’éléments de la coalition Séléka pourraient être une solution viable pour le futur.

Cependant, ils doivent être sélectionnés afin d’exclure ceux ayant commis des violations des droits de l’homme. Les autres devront être désarmés et démobilisés, rapatriés ou réintégrés. Cela prendra du temps et nécessitera un soutien de la communauté internationale. Les troupes régionales africaines envoyées sous l’égide de la mission de la CEEAC - Micopax (mission de consolidation de la paix en Centrafrique), forte de 1 300 hommes -, sont trop peu nombreuses pour stabiliser la situation. De plus, les populations locales n’ont pas confiance dans les troupes de certains pays voisins. Les troupes régionales doivent être renforcées au plus vite par une force plus large et plus diversifiée sous les auspices des Nations unies. Cette force permettra d’apporter la sécurité, de mieux protéger la population et de créer un environnement favorable pour l’organisation d’élections libres et régulières dans les prochains dix-huit mois, tel que prévu par les accords de Libreville. Soigner les blessures de la guerre et parvenir à une réconciliation des populations divisées prendra plus de temps que de réparer la salle d’audience de Bambari. Mais avoir une salle d’audience fonctionnelle est aussi essentiel : après la restauration de la sécurité, l’établissement de l’Etat de droit, la mise en place d’un processus de justice transitionnelle et la détermination des responsabilités pour les crimes commis par les deux parties au conflit doit être la prochaine priorité.

Par Ivan Simonovic, Secrétaire général adjoint des Nations unies aux droits de l’homme (2)

(1) Le 24 mars, la coalition Séléka a renversé le président au pouvoir depuis dix ans, François Bozizé.
(2) Il était en Centrafrique du 28 juillet au 2 août.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *