Chine - Europe : maintenir l'embargo sur les armements ou capituler ?

Quand les pouvoirs sont faibles, ils soumettent leurs peuples à la prédation d'autres. Hier la faillite des empereurs Qing soumettait le peuple chinois à la prédation de l'Occident et du Japon. Aujourd'hui, c'est l'Europe qui soumet ses peuples à la prédation de la Chine, une prédation qui, sous couvert de main tendue, prend forme d'une lente dilution des résistances et de progressive vassalisation de notre continent. Lorsque des voix s'élèvent pour clamer qu'il faut "comprendre la Chine", elles analysent nos relations avec ce pays sur des critères cartésiens alors qu'elles devraient l'être selon des critères chinois, ceux du pouvoir dominateur impérial.

Comment peut-on succomber au leurre de l'amitié sino-européenne quand l'objectif chinois est de désolidariser l'Europe des Etats-Unis ? "Les Etats-Unis sont vos ennemis. L'Europe doit s'allier à nous", me disait un chercheur chinois de haut niveau lors d'une rencontre à Ho Chi Minh Ville en novembre dernier. Ainsi, comme hier les Etats-Unis tentaient de jouer la carte chinoise contre l'Union soviétique, Pékin veut aujourd'hui jouer la carte européenne contre les Américains, une démarche qui entre dans les canons de l'immuable stratégie chinoise : s'allier avec l'ennemi secondaire pour vaincre l'ennemi principal et se retourner ensuite contre l'allié du moment.

Dans ce contexte, lorsque l'on sait le mépris que la Chine peut vouer aux faibles, l'Europe en serait, à l'analyse des intentions émanant des services de madame Ashton fin décembre 2010, à devoir encore baisser sa garde, étouffer son attachement à ses valeurs et abandonner ses résolutions. La Chine ne s'y trompe pas. La voici en effet qui s'enhardit à l'exercice du chantage à propos de l'embargo sur les armements. Comment ainsi accepter, sonnant comme un ultimatum, le ton pris par la porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères lorsque, le 11 février (South China Morning Post), elle somme "l'Union européenne de lever immédiatement et sans condition l'embargo sur les armes à l'encontre de la Chine" ? En appui vient l'éternelle litanie de la prescription de la mesure, puisqu'elle date désormais de plus de vingt ans, litanie psalmodiée en écho par les zélateurs de la levée dans l'illusoire espoir de substantielles retombées économiques.

Or, pour que des demandes chinoises d'importations d'armement européen soient honorées, elles doivent passer à l'examen des huit critères qui constituent la "Position commune" du Conseil de l'Union européenne, datée du 8 décembre 2008. Cette dernière définit les "règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires". Or, pourquoi ce texte, qui vaut engagement solennel de tous les Etats européens, semble-t-il occulté par ceux qui doivent décider du devenir de l'embargo ? Aucun responsable politique n'en fait état.

S'il demeure légitime pour tout pays de s'armer afin d'assurer sa défense, il est en revanche indécent de fournir des matériels militaires à ceux qui les utiliseraient à des fins de répression interne, de menaces sur leurs voisins ou " pour faire valoir par la force une revendication territoriale ". Or, sans passer ici le comportement de la Chine au crible des huit critères, comme le détaille l'article paru sur Diploweb, "UE-Chine-Armements-et-embargo", rappelons que même si Pékin accomplit des progrès pour améliorer le sort de la part la plus démunie de sa société, la liberté de parole n'y existe pas. Tibétains, Ouïgours, Mongols, intellectuels restent soumis à une oppression dont on ne recueille les échos que lorsque la souffrance devient insupportable et qu'ils se rebellent. Taiwan continue à être menacé et penser que la menace n'existe plus parce qu'il y a rapprochement économique récent avec le continent est un leurre. La montée en puissance militaire chinoise progresse à une cadence telle qu'elle alarme Japon, Corée du Sud et Etats-Unis, tout comme en mer de Chine du Sud elle alarme tout autant Washington que les Etats côtiers d'Asie du Sud-Est. En mars 2010, ayant inclus cet espace au rang de ses "intérêts vitaux", Pékin entend désormais y imposer une domination complète, à la fois au détriment des autres riverains en leur déniant quasiment tout droit à légitime revendication territoriale et en se mettant en position d'y menacer la liberté de la navigation internationale. C'est pourquoi à Hanoï, le 23 juillet 2010, par le discours convaincu d'Hillary Clinton, les Etats-Unis réagissent avec vivacité à une telle perspective. Il ne faut enfin pas perdre de vue les capacités proliférantes d'une Chine qui, en dépit de ses engagements internationaux, permet à des pays de s'équiper avec des armements susceptibles d'être retournés contre nos forces en opérations extérieures ou des forces amies. Pour ne citer qu'un exemple, ce sont bien des munitions chinoises qui ont été utilisées au Darfour contre des unités de l'ONU en 2010.

Cela dit, si depuis 1989 des matériels de guerre complets n'ont jamais été livrés à la Chine, tant de pièces détachées et d'ensembles l'ont été sous l'hypocrite couvert d'applications civiles, tels que les moteurs MTU 16V 396 SE pour les sous-marins Song 039A, que l'embargo n'est plus aujourd'hui qu'une couverture percée. C'est l'un des arguments, aussi vrais que fallacieux, dont usent de concert Chinois et militants européens de la levée.

Enfin, les Chinois peuvent compter sur la division des Européens pour parvenir à leurs fins malgré la mise en garde que Chris Patten, dernier gouverneur de Hong Kong, adresse à ces derniers en 1998, dans son ouvrage "East and West" : "Les pays européens, qui prétendent à une commune et honorable politique globale, sont hélas régulièrement retournés par la facilité de la Chine à jouer la voracité uniforme de l'un contre l'indécente avarice de l'autre".

Daniel Schaeffer, général (2s), membre du groupe Asie 21 et partenaire d'International Focus.

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