Chine: l'explosion de violence est proche

Les 376 membres du Comité central du parti communiste chinois se sont réunis du 9 au 12 novembre avec la volonté affichée de délibérer des réformes économiques et sociétales à venir. Comme il se doit, le président Xi Jinping a lu un "rapport de travail" dans lequel il a prononcé quelques phrases contradictoires telles que : "La fonction du marché est décisive dans l'allocation des ressources" et pourtant "nous devons maintenir le rôle dominant de notre système de propriété collective et donner un rôle directeur à une économie dirigée par l'Etat. "

Quoiqu'il en soit, il faut " maintenir la direction du parti", ce qui résume le tout. Mais il semble bien que le résultat essentiel de ce plénum soit la création d'une nouvelle Commission, directement placée sous les autorités centrales, appelée "comité de sûreté de l'Etat". Il s'agit donc bien de poursuivre sans changer grand-chose à la politique mise en place en 1978 par Deng Xiaoping : une réforme économique associée à une répression politique toujours plus forte.

LA PEUR RÈGNE

Pourquoi la mise en place d'un nouveau Comité, alors que le système chinois est déjà parfaitement doté d'un ministère de la justice, de la défense nationale, de la sécurité, d'une police, d'une police armée, et de toute une panoplie d'outils de répression ? Parce que la peur règne dans les plus hautes instances du pouvoir. Les dirigeants craignent l'explosion sociale et c'est ce qui les pousse à investir toujours plus d'argent dans le "maintien de la stabilité", au point que l'on se demande si le seul véritable ennemi du parti n'est pas l'ensemble du peuple chinois, tout simplement.

Il existe bien une minorité de cadres influents qui souhaiteraient voir se profiler de véritables réformes politiques au sein du parti. La personnalité de Hu Deping, fils de Hu Yaobang, dont la mort en 1989 avait provoqué le mouvement de protestation démocratique le plus important de ces quarante dernières années, symbolise ce désir d'ouverture.

Les gens autour de lui insistent sur la nécessité de commencer à redistribuer les richesses, tout en posant les bases d'une véritable démocratie et non plus de la "démocratie aux caractéristiques de la Chine" qu'aimait déjà évoquer Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping.

Mais le stade de la mise en place de réformes politiques est peut-être déjà dépassé. Comme le disent familièrement les Chinois, "Si le parti se réforme, il est foutu. Si le parti ne se réforme pas, c'est le pays qui est foutu." Mais si la Chine n'a pas suivi l'évolution démocratique des anciens pays communistes de l'Ouest, c'est qu'une classe aisée a émergé, et qu'elle a peur de perdre ses acquis, alors qu'une classe encore pauvre espère parvenir bientôt à l'aisance.

Pour les uns, le désir de succès les aveugle et leur fait accepter des conditions de travail et de salaire indécentes ; pour les autres, la peur d'une remise en question concernant la façon dont ils ont acquis leur fortune leur fait appréhender des lendemains qui déchantent. Du coup, chaque jour qui passe est un jour de gagné…

LES PLUS RICHES ONT DÉJÀ ÉMIGRÉ

Pendant ce temps, selon une étude publiée dans le Rapport Hurun en juillet 2012, plus de 60 % des Chinois les plus riches ont déjà émigré ou rempli les formulaires nécessaires pour le faire et plus de 85  % d'entre eux ont envoyé leurs enfants étudier dans les meilleures universités à l'étranger. Et la polarisation sociale ne fait que croître.

Selon le Coefficient Gini qui calcule les inégalités sociales sur une échelle de 0 à 1, et selon lequel tout chiffre supérieur à 0,4 est le signe avant-coureur de révoltes sociales, le curseur chinois serait déjà près de 0,5 depuis la fin 2012. Si l'on se fie à ces indicatifs, la révolte sociale généralisée ne saurait plus tarder… ce qui expliquerait l'angoisse des milliardaires et des hauts cadres du parti.

En fait le président Xi Jinping est complètement encerclé par ses pairs et sa bureaucratie. Les propositions émises par Xi lors de sa prise de pouvoir en novembre 2012, comme la suppression des camps de détention administrative, appelés laojiao, ont fait long feu. Certaines provinces ont appliqué cette décision, d'autres pas, et personne ne connaît la suite de l'histoire…

Les fonctionnaires et les hauts cadres ont trop à perdre si le parti se lance dans la réforme politique ; de plus personne ne sait ce qui arriverait si un nouveau membre de la direction du parti venait à tomber sous le coup de la loi.

L'exemple de Bo Xilai, qui devait pourtant entrer dans le sérail ultra-protégé du bureau politique, et qui a été condamné à la prison à vie juste avant la tenue du  IIIplénum, est un puissant contre-exemple. Si ce dernier n'a pas réussi à s'imposer par la force, son successeur saura sans doute le faire plutôt que d'attendre sagement l'arrestation et une condamnation certaine.

CORRUPTION ET FORTUNE DES DIRIGEANTS

En effet, les informations se font de plus en plus précises sur la fortune des dirigeants et provoquent une indignation grandissante. Parce que Bloomberg News avait évalué les richesses du clan familial de Xi Jinping à quelque 500 millions de dollars en juin, et que le New York Times a poursuivi l'enquête en octobre et publié un article sur les biens du clan de l'ancien premier ministre Wen Jiabao évalués à un total de "au moins 2,7 milliards de dollars", les sites en anglais et en chinois de ces deux médias sont maintenant complètement bloqués.

Les méfaits de la corruption et du népotisme explosent pourtant aux yeux de tous. Comment expliquer qu'un simple commissaire de police dans un quartier de Shanghaï ait été pris avec 2 milliards de dollars en argent liquide cachés dans ses tiroirs ? Est-ce parce qu'il se trouvait dans le quartier de Jing'an, qui est essentiellement occupé par des Taiwanais, des Japonais, des Coréens et autres hommes d'affaires asiatiques qu'il était si bien… arrosé ?

Les explosions et les attentats récents qui se sont produits sur la place Tiananmen, dans la province du  Shanxi et ailleurs ne sont que les premiers symptômes d'une crise sociale majeure. Le slogan pacifiste des militants de la place Tian'anmen de 1989  qui voulaient une manifestation "pacifique, rationnelle et non-violente" pourra-t-il encore avoir cours devant une dictature de plus en plus emmurée dans une logique de violence sans limites ?

Wei Jingsheng, premier dissident politique de Deng Xiaoping, il a été emprisonné de 1979 à 1997. Il vit actuellement en exil aux Etats-Unis. Marie Holzman, sinologue et présidente de Solidarité Chine. Elle est également co-auteur, avec Bernard Debord, de la biographie de "Wei Jingsheng, un Chinois inflexible" (Bleu de Chine, 2005).

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