Chloroquine : laissons les médecins faire leur travail

Franchement, je ne voulais pas réagir au-delà des discussions des dimanches en famille ou des brèves de comptoir face à cette controverse sur l’usage de la chloroquine (en fait, de la combinaison hydroxychloroquine-azithromycine) pour traiter le Covid-19, car il y a des tas de gens mieux placés pour s’engager dans ce débat. Mais je ne comprends plus la tournure irrationnelle que ce débat prend. D’une part, nous sommes face à une question épistémologique à laquelle tous les chercheurs sont confrontés et peuvent à mon avis donner une réponse simple et logique, plutôt que laisser se déchaîner les passions et enfler les polémiques.

D’autre part, je me rends compte que l’essai international lancé par l’Organisation mondiale de la santé n’a pas inclus dans son protocole ce traitement qui fait tant couler d’encre. Elle inclut l’hydroxychloroquine seule, sans l’azithromycine, alors que c’est la combinaison de ces molécules qui a montré une possible efficacité dans un essai préliminaire. Et elle ne porte que sur des patients gravement atteints alors que le traitement hydroxychloroquine-azithromycine ne fonctionnerait que s’il est administré au début de la maladie, dès que le patient est testé positif. L’essai va donc prouver que la chloroquine ne guérit pas les patients gravement atteints, ce que l’on sait déjà. On le saura simplement avec plus de certitude tandis que la controverse sur l’efficacité du traitement hydroxychloroquine-azithromycine restera ouverte, et que les malades continueront de mourir. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Je vais essayer de formuler non pas une réponse à la question de savoir si ce traitement est efficace (je ne suis ni médecin ni expert sur le sujet), mais à la question de savoir si la prescription de ce traitement par les médecins devrait être autorisée. Car ce sont bien deux questions distinctes. Ma réponse est celle d’un chercheur dont le métier est de se questionner sur la pratique actuelle de la science. Je pense tout simplement que dans la situation de crise et d’urgence dans laquelle nous sommes, la personne à même de décider du traitement à employer est le meilleur spécialiste accessible à chaque malade atteint du Covid-19, c’est-à-dire le médecin qui soigne ce malade.

Au lieu de cela, nous avons laissé un petit groupe décider pour tout le monde, interdisant notamment aux médecins non hospitaliers de donner une chance à leurs malades en prescrivant ce traitement, alors que faute de traitement ils développent des symptômes graves et engorgent des hôpitaux saturés où ils meurent en grand nombre. Je pense que c’est un choix irrationnel et que c’est la «science», ou plutôt une vision étroite de la science que l’on peut appeler scientisme (d’où les guillemets), qui nous a conduits à cela, combinée à un mode de décision excessivement bureaucratique et centralisé. Car la question que la «science» pose est celle-ci : sommes-nous sûrs que la chloroquine réduit la mortalité face au Covid-19 ?

Aussi longtemps que l’on n’a pas répondu (et ça prendra du temps), la «science» nous dicte de ne pas l’utiliser. Mais la question, plus pertinente en situation de crise et d’urgence, que se posent les personnes atteintes du Covid-19 et les médecins qui les soignent, ainsi que les scientifiques non-adeptes du scientisme, est celle-ci : est-ce qu’il y a plus de chance de guérir avec ou sans le traitement hydroxychloroquine-azithromycine ? La décision du médecin dépendra de la réponse donnée à cette deuxième question, et ceci aussi longtemps que la réponse à la première question (la preuve de l’efficacité) ne sera pas obtenue. Des milliers de malades devront se contenter de la réponse à la deuxième question et si l’on y répond mal, ils seront exposés à un plus grand risque de mourir. Donc il faut y répondre, ce que nos dirigeants non seulement ne veulent pas faire, mais interdisent aux médecins de faire, en interdisant la prescription du traitement hydroxychloroquine-azithromycine, à l’exception des médecins des hôpitaux qui y ont finalement été autorisés.

Est-ce que la combinaison hydroxychloroquine-azithromycine donne plus ou moins de chance de survie face au Covid-19, donc ? Une seule équipe dans notre pays a le mérite d’avoir posé cette question et s’en retrouve quasi-diabolisée, et écoutée principalement par des fanatiques des théories du complot, jusqu’à la visite, heureuse, de notre Président. Cette équipe, à Marseille, certes n’apporte pas de preuve définitive, et n’a d’ailleurs jamais prétendu le faire. Mais elle apporte des faits que tout médecin face à un cas de Covid-19 est dans le devoir de considérer. Elle rapporte les résultats d’autres équipes qui, en Chine et ailleurs, ont montré depuis deux mois déjà que ce traitement réduit la charge virale chez des patients atteints du Covid-19.

Certes cet effet est mesuré sur un nombre limité de malades et sans contrôle placebo, mais il est observé sur un nombre de patients qui croit chaque jour, permettant une croissance du capital d’expérience et du savoir pour chaque médecin impliqué dans le suivi de ces patients, bien avant que les essais cliniques ne donnent leurs résultats. Dès lors que la prescription est sous la responsabilité d’un médecin capable de considérer les effets secondaires, extrêmement rares pour des traitements de courte durée avec ces médicaments bien connus, sauf dans le cas de malades atteint de pathologies particulières, pourquoi donc ne pas autoriser ces médicaments pour traiter le Covid-19, d’autant plus qu’aucun traitement alternatif n’a prouvé son efficacité ?

Non, décidément, je ne vois aucune explication logique. Sauf une : le biais. L’irrationalité collective et le manque de pragmatisme dans lesquels nous sommes plongés résultent de biais, qui peuvent être collectifs du fait de la prépondérance de l’idéologie scientiste selon laquelle seule la connaissance prouvée a valeur, et individuels, du fait de la position sociale et des intérêts de chacun. Sur ce deuxième point, il est bien connu que la science n’est pas une pratique objective. Elle l’est en théorie, et c’est ce à quoi elle aspire, mais elle ne peut l’être en pratique, car elle est biaisée par des enjeux politiques, économiques ou autres. Le cas historique le plus connu est l’approche erronée de la biologie promue par Lyssenko sous le régime stalinien. Mais sans se situer dans de tels cas extrêmes, on peut se rendre compte que l’objectivité pure n’existe pas. Dès lors que des liens d’intérêts existent entre décideurs et fabricants de médicaments par exemple, on ne peut exclure l’existence de biais, non pas au niveau de l’interprétation des résultats d’expérience (il est difficile d’être biaisé dans la lecture de chiffres précis), mais dans le choix du type d’expérience considéré acceptable.

Ces biais ne sont pas forcément conscients. Ils ne signifient pas que nos décideurs et leurs conseillers sont des profiteurs diaboliques. Ils signifient seulement qu’ils occupent certaines positions et ont établis certains liens, et que ces positions et liens influencent leur manière de penser, font pencher la balance d’un certain côté surtout quand l’inconnu rend l’équilibre précaire. Ce n’est pas leur honnêteté qui est en jeu (et c’est pourquoi on ne peut parler de complot). C’est seulement leur position, et leur idéologie (scientiste), elle-même nourrie par leur position. Ces positions doivent être étudiées si l’on veut identifier les biais possibles et avancer dans le débat. Et surtout, il ne faut pas mettre le débat totalement entre les mains de quelques individus constituant des commissions, aussi compétent soient ces individus, précisément parce qu’ils occupent des positions particulières et partagent probablement une idéologie commune.

En bref, il faut autoriser les médecins à faire leur boulot, c’est-à-dire à utiliser toutes les connaissances et toutes les molécules déjà autorisées sur le marché et dont on peut raisonnablement suspecter qu’elles ont un effet bénéfique, y compris donc l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, pour soigner leurs malades. C’est peut-être une violation des règles définies dans les autorisations de mise sur le marché de ces médicaments, mais si «nous sommes en guerre», ces règles ne doivent-elles pas être assouplies pour donner plus de liberté d’initiative à ceux qui sont au front ? Bien sûr, il faut conduire aussi des essais rigoureux sur l’efficacité de ces molécules pour traiter les malades atteints du Covid-19. Personne n’a jamais dit le contraire dans ce débat et nous dénonçons le fait que l’essai européen mentionné plus haut ne teste pas ce traitement. Mais en attendant les résultats de ces essais, il faut décider vite et en tenant compte des résultats partiels disponibles.

Car les preuves de l’efficacité de ce traitement pourraient, sinon, être produites par une comparaison des taux de décès entre hôpitaux et médecins qui le prescrivent et ceux qui ne le prescrivent pas. Allons-nous laisser cette expérimentation «naturelle» et au coût humain potentiellement élevé se dérouler en même temps que des protocoles «scientifiques» dont nous ne sommes même pas sûrs qu’ils posent la bonne question, ou allons-nous laisser les gens les plus directement concernés, les médecins et leurs patients, prendre leurs décisions sur la base des connaissances partielles déjà entre leurs mains ? Dans tous les cas, certes, on ne fait que conduire des expériences. Mais dans le dernier cas, cette expérience se base sur des résultats préliminaires déjà acquis et mobilise une intelligence collective plus grande. Elle devrait donc avoir un coût humain moindre et fournir des résultats plus rapidement.

Par Jacques Pollini, chercheur à l'Université McGill de Montréal.

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