Cinq clés pour une gestion européenne de la crise

Depuis quelques semaines, notre détermination est une nouvelle fois mise à l'épreuve. Les doutes sur la soutenabilité des dettes souveraines de certains Etats, associés à la dégradation de la note américaine, se traduisent par une forte volatilité des marchés.

Il n'en fallait pas plus pour agiter le spectre de la crise financière de 2008 et de ses effets dramatiques sur l'économie réelle, ressentis aujourd'hui encore par de nombreux citoyens et entreprises.
Pourtant, 2011 n'est pas 2008.

En 2008, le choc venu des marchés américains des crédits hypothécaires à risque a été accentué par une forte opacité, une capitalisation insuffisante des banques et l'inadaptation des systèmes de surveillance des institutions et marchés financiers.

Aujourd'hui, l'exposition des banques aux dettes souveraines est connue. Les stress tests rigoureux et transparents, dont les résultats ont été publiés début juillet, ont montré que la grande majorité des institutions financières sont capables de résister aux chocs. Quant à la surveillance des institutions et marchés financiers, elle est assurée depuis le 1er janvier 2011 par trois nouvelles autorités européennes.

Les fondamentaux des économies de la zone euro n'ont pas changé en quelques jours. La croissance repart dans la plupart des Etats membres tandis que les pays européens ont engagé un mouvement général et résolu de consolidation budgétaire et de réformes structurelles. A cet égard, l'annonce par le président Sarkozy de nouvelles mesures pour garantir les objectifs de réduction des déficits va dans la bonne direction.

En réalité, la volatilité des marchés trouve sa cause principale dans une perte de confiance, alimentée par des dettes publiques trop importantes, des perspectives de croissance moroses et une gouvernance économique et financière qui ne s'adapte que sous la pression, faute de la volonté politique nécessaire au saut qualitatif et volontariste qui s'impose.

La confiance guide les comportements des investisseurs, des entreprises et des citoyens. Son retour est indispensable au bon fonctionnement de l'économie. Il est à notre portée si nous savons manier les bonnes clés. J'en évoquerai cinq.

Première clé : l'unité politique

Aux Etats-Unis comme en Europe, la division politique n'est plus une option. Face à la très grande sensibilité des marchés, nous devons parler d'une seule voix.

Les Européens l'ont compris, eux qui ont adopté le 21 juillet un ambitieux plan d'aide à la Grèce. Cette unité doit maintenant se traduire dans les faits. Il est essentiel que les pays membres de la zone euro ratifient sans délais l'accord qui porte notamment sur le fonctionnement du Fonds européen de stabilité financière doté de 440 milliards d'euros.

L'unité doit également être de mise entre les grandes économies mondiales, qui doivent mieux coordonner leurs réactions aux chocs économiques. C'est tout l'intérêt des enceintes comme le G7 et le G20, auxquelles l'Union participe activement.

Face à cette crise, et à d'autres qu'on aurait grand tort d'oublier comme les famines, le changement climatique ou l'insécurité internationale, c'est à l'évidence une nécessité d'être de plus en plus Européen sans cesser d'être patriote.

Deuxième clé : un gouvernement économique de la zone euro

La crise a démontré la nécessité de pousser plus loin l'intégration de nos politiques économiques. En matière monétaire, nous avons déjà franchi le saut fédéral en créant l'euro. Il faut maintenant aller au bout de cette logique en mettant en place le pilotage politique et les instruments de coordination budgétaire qui vont avec et dont nous aurions dû nous doter il y a dix ans.

Parce qu'elle renforce l'unité politique du couple franco-allemand et parce qu'elle propose un renforcement de la gouvernance économique de la zone euro, la démarche commune d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy me semble juste. La gouvernance de la zone euro doit être à la fois plus réactive et plus politique. Aujourd'hui, il est tout naturel que ce leadership soit issu du conseil des chefs d'Etat et de gouvernement. Mais ma conviction personnelle est qu'un jour il nous faudra aller encore plus loin, en créant un véritable ministre européen de l'économie et des finances, institutionnalisé et issu de la double compétence de la Commission européenne et du Conseil.

En attendant, nous devons aussi mettre en place le "règlement de copropriété" dont nous avons besoin. Le "semestre budgétaire européen" constitue désormais le cadre de notre politique économique. Il faut lui donner corps en adoptant rapidement les nouveaux mécanismes de surveillance budgétaire et de détection des déséquilibres macroéconomiques. Ce paquet législatif est sur la table du Conseil et du Parlement et nous sommes proches d'un accord. Les citoyens européens ne comprendraient pas que la mise en œuvre d'une telle priorité soit encore ajournée.

Troisième clé : la réduction des dettes

La crise que nous traversons n'est pas une crise de l'euro mais une crise de la dette souveraine de certains Etats. Il est essentiel que ces Etats poursuivent la mise en œuvre des plans de consolidation budgétaire et nous avons confiance en eux pour le faire.

Le principe des "règles d'or" va dans le bon sens et sa généralisation au niveau européen est souhaitable. Il s'agit d'abord de rétablir l'équité intergénérationnelle, en arrêtant de tirer des chèques en blanc sur l'avenir. Il s'agit ensuite de sortir de l'addiction à la dette d'une manière juste en répartissant équitablement les efforts nécessaires. Il s'agit enfin de créer les conditions du retour de la croissance. En effet, comment trouver les marges de manœuvre nécessaires au soutien de l'activité quand 15 % du budget d'un Etat est consacré chaque année au paiement des intérêts de la dette ?

Enfin, faudra-t-il aller jusqu'à la mutualisation de la dette ? L'idée de créer des 'eurobonds' a été soulevée à plusieurs reprises ces derniers mois, et elle est encore d'actualité. Oui, la logique de l'union économique et monétaire est bien qu'à terme, tous les pays de la zone euro empruntent de l'argent à un même taux. Mais il y a des préalables, et nous n'y sommes pas encore. Pour y arriver, la gouvernance économique qui a fait défaut jusqu'à présent doit devenir effective. Car la solidarité entre Etats membres passe d'abord par le respect des règles et une discipline budgétaire commune. Aussi, avant de mutualiser notre dette, nous devons nous remettre sur le chemin de la convergence économique, en aidant les pays les plus faibles à retrouver leur compétitivité.

Pour cela, je terminerai par deux autres clés qui ressortent directement de mes compétences en tant que Commissaire européen pour le marché intérieur et les services.

Quatrième clé : une bonne régulation financière

En la matière, l'Europe montre l'exemple : nouvelle architecture de supervision, renforcement des règles prudentielles pour les banques, encadrement des bonus… Sujet par sujet, nous tirons les leçons de la crise.

Et nous n'avons plus le droit de tergiverser. La Commission a mis sur la table en septembre 2010 des propositions encadrant toutes les transactions de produits dérivés et les ventes à découvert. Ces mesures nous permettrait d'agir plus efficacement contre l'usage abusif des contrats d'échange sur défaut (credit default swaps) de dette souveraine, y compris en coordonnant au niveau européen une interdiction des spéculations dites à "nu". Encore une fois, j'en appelle à la responsabilité des Etats membres et du Parlement européen pour trouver un accord dans les premières semaines de septembre sur ces propositions fondamentales. Il s'agit d'une priorité absolue.

Toutes ces mesures seront suivies à l'automne d'autres initiatives majeures. Nous proposerons une taxe sur les transactions financières afin que ce secteur contribue de manière juste au retour de la croissance et de la stabilité financière. Nous proposerons également de nouvelles règles pour la notation de dettes souveraines. Le comportement parfois irresponsable des agences de notations n'est plus à démontrer, nous l'avons vu pas plus tard que la semaine dernière à l'occasion de la dégradation de la note américaine.

Cinquième clé : la compétitivité et le retour à la croissance

Parmi les facteurs qui peuvent contribuer à ramener la croissance, nous disposons en Europe d'un atout de taille : notre grand marché de 500 millions de consommateurs et 22 millions d'entreprises. Le nouvel acte pour le marché unique, adopté par la Commission en avril, vise à donner un nouvel élan à ce formidable outil.

Cette initiative comprend un vaste ensemble de mesures telles que le développement des infrastructures de réseaux, une action résolue en faveur des PME, l'investissement dans l'économie numérique, la création d'un brevet unique européen, la mobilité professionnelle à travers la reconnaissance des qualifications entre pays européens, le développement de l'entrepreneuriat social… Au total, la mise en œuvre de l'Acte pour le marché unique pourrait nous permettre d'obtenir de 2 à 4 points de croissance supplémentaire en Europe.

En d'autres temps, le poète Horace écrivait : "Qui a confiance en soi conduit les autres." A l'aube d'un siècle déjà dominé par l'émergence de nouveaux grands pouvoirs économiques et politiques, c'est sans doute le premier défi des Européens. En réalité, la confiance est un processus auto-entretenu. C'est en ayant confiance en l'Europe, en sa capacité de réunir, de dépasser les logiques nationales du passé et de s'affirmer, en la dotant d'outils nouveaux, notamment en matière budgétaire, que nous inspirerons confiance aux marchés et aux citoyens et que nous resterons un partenaire crédible pour les autres grands ensembles du monde.

Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, ancien ministre.

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