Cisjordanie: un nouvel apartheid?

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a fait part de sa détermination à annexer des territoires en Cisjordanie, une opération qui devait commencer dès le 1er juillet. Si les détails exacts de cette annexion demeurent flous, il est aujourd’hui indéniable que la politique menée par Israël contribuera à imposer aux Palestiniens un régime comparable à celui de l’apartheid en Afrique du Sud.

Nous avons subi la réalité de la ségrégation au XXsiècle, et nous ne pouvons rester indifférents à ce qui se profile comme son équivalent au XXIsiècle. Le but ultime de ceux qui planifient l’annexion israélienne est de diviser la Cisjordanie, donnant à Israël autant de territoires palestiniens que possible, avec aussi peu de Palestiniens que possible, anéantissant ainsi la possibilité même d’un Etat palestinien souverain aux côtés d’Israël. Mettant à profit le plan Trump et se réclamant de ce que le président américain a appelé sa «vision pour la paix et la prospérité», Israël pourrait commencer par annexer un petit nombre de régions, en se «limitant» par exemple aux importantes colonies bordant la ligne verte (1). Mais il ne fait aucun doute que cette politique sera de plus en plus agressive, entérinant légalement un système au sein duquel Israéliens et Palestiniens ne seront pas considérés comme égaux.

Les territoires isolés des bantoustans

Il est difficile de se pencher sur la carte incluse dans le plan Trump, ou sur les premières cartes d’annexion proposées par Nétanyahou, sans penser aux bantoustans de l’Afrique du Sud sous l’apartheid. On a l’impression d’être face à un archipel. Les bantoustans, ou «patries bantoues», étaient des territoires isolés, créés par le gouvernement pour confiner la population noire entre les limites de dix zones «homogènes» du point de vue de la race et de l’ethnie –en vérité, la tentative d’une minorité raciste cherchant à juguler son «problème démographique» en menant une politique de ségrégation et de fragmentation géographique intensive.

En vertu de la loi de 1970 sur la citoyenneté dans les homelands bantous, les Sud-Africains noirs se voyaient ainsi dépossédés de leur nationalité sud-africaine et devenaient officiellement citoyens des bantoustans. En déclarant l’«autonomie» de ces territoires, le gouvernement tentait simplement de justifier une politique visant à priver une partie de la population de ses droits civiques et politiques fondamentaux.

En tant que membres du Congrès national africain et participants actifs à la résistance sud-africaine, nous nous engageons depuis longtemps pour inciter nos concitoyens à se mobiliser afin de lutter contre ce système fondé sur le racisme – une action que nous avions entreprise avant que Barbara Hogan soit emprisonnée pour ses activités anti-apartheid, et que nous avons poursuivi après sa libération.

Forts de cette expérience, nous reconnaissons très clairement les liens entre les bantoustans et la carte morcelée que Benyamin Nétanyahou et Donald Trump ont proposée pour la réorganisation de la Palestine, laquelle a pour effet de cantonner les Palestiniens à plusieurs régions coupées les unes des autres, sans droits politiques et sans contrôle sur leurs ressources naturelles vitales, ni à plus forte raison sur l’espace aérien ou les frontières.

Vernis trompeur

Malgré ces ressemblances criantes entre les bantoustans de l’apartheid et les zones proposées par Donald Trump, il est une différence non négligeable : au cours de la lutte contre l’apartheid, la communauté internationale s’est rassemblée pour mettre ce régime ségrégationniste au pied du mur.

Lorsque l’Afrique du Sud a cherché à obtenir la reconnaissance des autres pays pour attribuer aux bantoustans le statut d’«Etats autonomes», le monde entier a dit non. En 1976, l’Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution visant à «rejeter la "déclaration d’indépendance"» des bantoustans. La même année, le Conseil de sécurité des Nations unies prenait une décision semblable, «appelant tous les gouvernements à refuser toute forme de reconnaissance» aux bantoustans.

Et de fait, l’Afrique du Sud fut le seul pays à reconnaître officiellement les bantoustans comme des Etats à part entière ; le reste du monde avait compris que ces zones cloisonnées, dont la population était privée de sa citoyenneté, ne méritaient en rien l’appellation d’Etats. En les reconnaissant comme telles, on n’aurait fait qu’apporter de la légitimité à un système fondé sur l’oppression et la discrimination.

Aujourd’hui, il apparaît clairement que Benyamin Nétanyahou tentera de faire passer les territoires non annexés pour une espèce d’autonomie palestinienne, fidèle en cela au plan Trump, avec de nombreuses références à «l’Etat palestinien» – ayant ainsi recours à la même astuce que l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Mais la vision de la Palestine selon Nétanyahou et Trump n’a rien d’autonome : les deux présidents ne cachent pas qu’Israël exercera un contrôle sécuritaire permanent sur les territoires palestiniens. Ce n’est qu’un vernis trompeur derrière lequel Nétanyahou peut cimenter à loisir sa vision de l’occupation permanente et de l’annexion unilatérale.

Nous devons empêcher Donald Trump et Benyamin Nétanyahou d’obtenir l’approbation de la communauté internationale pour leur vision ségrégationniste s’appuyant sur un usage fallacieux du mot autonomie. Cette prétendue autonomie n’a jamais fonctionné en Afrique du Sud, et nous ne la laisserons pas s’installer aujourd’hui en Israël et en Palestine.

Moyens pacifiques

Il est temps d’unir nos efforts pour déjouer cette tentative d’imposer un régime corrompu rappelant en tout point l’Afrique du Sud de l’apartheid. Nous devons être prêts à mettre en œuvre les moyens pacifiques qui nous ont permis de gagner en Afrique du Sud. Ce combat nous a enseigné que les régimes fondés sur la discrimination sont prêts à changer de politique quand ils comprennent qu’il y a un prix à payer pour le statu quo.

Notre engagement en Afrique du Sud nous a appris que les sanctions sont cruciales lorsqu’on espère peser sur la politique des régimes ségrégationnistes ; le monde doit se préparer à prendre des mesures économiques pour faire dévier Israël du chemin désastreux dans lequel le pays s’engage. C’est là la seule manière de faire évoluer la réalité actuelle, de faire front contre l’oppression et la discrimination, afin d’éviter une annexion dont les conséquences seront pires encore. Ainsi nous faudra-t-il œuvrer pour un avenir où Israéliens et Palestiniens auront les mêmes droits civiques et politiques, et la possibilité de vivre leur vie dans la dignité et l’égalité, au sein de deux Etats pacifiques et authentiquement souverains – côte à côte.

Barbara Hogan, ex-ministre de la Santé et ex-ministre des Entreprises d’Etat au sein du gouvernement sud-africain.
Andrew Feinstein, ancien membre du Congrès national africain, premier député à introduire une motion sur la mémoire de l’Holocauste au parlement sud-africain. Traduit de l’anglais par Alexandre Pateau.


(1) La ligne d’armistice de 1967 servant de frontière entre Israël et les Territoires occupés.

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