Climat: avancées discrètes mais bien réelles

Il est devenu un rituel, presque de bon ton, de critiquer la manière dont les négociations internationales sur le changement climatique sont conduites, de même que tout éventuel résultat auquel elles pourraient parvenir.

En lisant dimanche dernier les décisions adoptées par la 16e conférence des parties de la Convention sur le changement climatique (COP-16), laquelle agit également en tant que sixième réunion des parties du Protocole de Kyoto (CMP-6), puis les commentaires hâtifs parus dans divers médias, j’ai eu l’impression que l’on voudrait faire croire au lecteur qu’on est désormais dans une situation de tout ou rien. Soit on conclut un accord ambitieux prévoyant, en sus d’un fonds généreux alimenté par des contributions des pays développés, des engagements quantifiés de réduction des émissions non seulement pour ces derniers (en particulier les Etats-Unis) mais aussi pour les pays dits émergents (en particulier la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud), soit la négociation aura été un échec. Cette vision manichéenne est beaucoup trop simpliste, et ceci pour plusieurs raisons. Je voudrais en évoquer trois qui me semblent importantes.

Premièrement, la conclusion d’un traité international, même ambitieux, ne serait de loin pas suffisante pour résoudre la question du changement climatique. L’illustration la plus claire de ce point nous est donnée par le Protocole de Kyoto. Relativement ambitieux à l’origine, comportant des engagements quantifiés de réduction des émissions pour des pays développés et en transition, cet instrument n’a pas eu, loin s’en faut, l’effet escompté. Et, en affirmant ceci, je ne me réfère pas seulement au refus des Etats-Unis de le ratifier ou à l’absence des pays émergents de la liste des pays ayant de véritables obligations en matière d’émissions, mais aussi au fait que même des Etats qui sont liés par le Protocole de Kyoto, tels le Canada, le Japon ou la Suisse, auront une grande difficulté à s’acquitter de leurs obligations. En toute hypothèse, ils ne pourront pas le faire de la manière dont ils étaient censés le faire, à savoir principalement par l’adoption des mesures nationales de réduction des émissions (par opposition à l’emploi des «mécanismes de flexibilité», comme l’achat de droits d’émission ou la «fabrication» de tels droits par voie de projets dans d’autres pays). L’apport de Kyoto, comme de tout éventuel traité international en cette matière, doit donc être recherché ailleurs, dans son influence sur le comportement des gouvernements et des opérateurs privés, ce qui m’amène à la deuxième raison pour laquelle la vision manichéenne évoquée plus haut est trop réductrice.

En effet, une bonne partie des 26 décisions adoptées à Cancun donnent une idée assez claire de l’univers réglementaire où devront évoluer les principaux opérateurs économiques dans le futur. Pour comprendre cet apport, il faut se souvenir de la structure des négociations climatiques, qui ont suivi deux volets ou «tracks» différents. S’agissant du premier volet, qui porte sur «l’action coopérative à long terme», les négociateurs ont adopté un texte qui entérine indirectement les principaux éléments du tant décrié Accord de Copenhague. La COP-16 a ainsi endossé l’objectif de limiter l’augmentation de température à deux degrés Celsius et formalisé: 1. le système selon lequel les pays en voie de développement (et donc les pays émergents) communiqueront des objectifs nationaux de réduction des émissions; 2. le principe selon lequel les mesures soutenues par une aide internationale seront susceptibles de vérification internationale; 3. la création d’un fonds, le «Green Climate Fund», accompagnée d’objectifs chiffrés de financement à court terme (30 milliards de dollars américains pour 2010-2012) et à long terme (100 milliards de dollars américains par an); 4. la création d’un mécanisme de transfert de technologie, comprenant un réseau de diffusion de technologie visant à encourager des collaborations entre des acteurs publics et privés; 5. l’adoption de lignes directrices sur la manière de conduire des projets visant à réduire la déforestation (REDD-plus), fondées sur des principes, tels que la non-transformation des forêts (en plantations), qui laissait jusqu’à maintenant planer d’importantes incertitudes. Il s’agit donc d’un Accord de Copenhague étendu et détaillé, et cette fois-ci, il a été adopté par la conférence des parties. Il est intéressant de souligner que cette adoption s’est effectuée malgré la tentative de blocage de la Bolivie, qui soutenait, à tort, que la pratique du consensus suivie généralement dans ce cadre équivalait à un droit de veto. Cette clarification procédurale, qui est passée inaperçue de la plupart des médias, est un élément important pour la suite des négociations, dans la mesure où elle limite les tentatives de blocage dans le futur.

Quant au deuxième volet des négociations, même si l’objectif d’assortir le Protocole de Kyoto d’une nouvelle période d’engagement (la présente période d’engagement expirant en 2012) n’a pas été atteint, un certain nombre de questions ont été réglées. En particulier, le mécanisme pour un développement propre de l’article 12 du protocole, qui avait été très critiqué ces dernières années, devra être amélioré et simplifié, et pourra désormais accueillir des projets relatifs à la capture et au stockage du carbone («CCS»). Ces divers éléments fournissent d’importants signaux aux opérateurs privés, qui ont besoin de se faire une idée aussi précise que possible du cadre réglementaire dans lequel ils devront évoluer dans l’horizon de la future «économie verte».

Cependant, l’élément le plus important de ces négociations (comme de celles qui les ont précédées et qui les suivront) est à chercher, il me semble, dans la dynamique sociale qu’elles contribuent à maintenir, voire à raviver. La gestion du problème du changement climatique passera nécessairement par un changement des pratiques sociales. Même si les politiques climatiques (internationales et/ou nationales) devaient prendre plus de temps qu’on ne le souhaite pour se consolider, il n’y a pas de doute qu’elles joueront un rôle majeur dans l’environnement juridique et politique des années à venir. Dans cette optique, l’importance principale du processus de négociation est de maintenir la question du changement climatique dans l’agenda politique et dans l’esprit des citoyennes et citoyens, des consommateurs, des décideurs politiques et privés et, surtout, des jeunes générations.

En d’autres termes, ces négociations font partie d’un processus beaucoup plus vaste visant à faire changer, certes lentement, les pratiques sociales. Et il faut beaucoup plus qu’une déception modérée, voire même qu’un échec retentissant, pour arrêter un processus d’une telle ampleur.

Par Jorge E. Viñuales, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève.

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