Climat : les idées fausses de bons économistes

De bons économistes défendent la nécessité d’instaurer un prix mondial unique du carbone s’imposant à tous les pays. Pour y parvenir, Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet proposent que les différents marchés régionaux du carbone se fondent dès que possible en un unique marché mondial (Le Monde du 17 septembre). A cela s’ajouterait un dispositif de bonus-malus pivotant autour du taux moyen d’émission de gaz à effet de serre par habitant, car la justice commanderait d’égaliser les droits d’émission de chaque individu à travers le monde. Revêtues d’un apparent bon sens, ces trois idées sont pourtant fausses et hors propos dans le contexte des négociations en vue de la COP21 à Paris.

L’idée d’un prix mondial unique du carbone s’enracine dans la recherche de l’efficacité des incitations économiques. Acceptable sous certaines prémisses, ce raisonnement pèche ici par ses œillères. L’émission de CO2 n’intéresse que parce qu’elle sous-tend la production d’un certain état du climat. Ce bien collectif résulte d’une production décentralisée par les milliards d’individus qui en sont dépendants.

En porte-à-faux avec le « bottom-up »

Pour maximiser le bien-être collectif, il faut prendre en compte la valeur que chaque individu lui accorde afin de proportionner la contribution qui lui est demandée. Pour chacun, cette valeur se compare à celle des autres biens permettant de vivre et de se développer. Les arbitrages n’ont donc aucune raison d’être les mêmes entre les 7 milliards d’êtres humains, du fait des énormes différences de situations et de revenus entre eux.

Sauf dans le cas très hypothétique où la communauté internationale organiserait des transferts de revenus si gigantesques que l’utilité marginale de la monnaie deviendrait la même pour tous. La condition pour qu’un prix unique du carbone maximise le bien-être mondial serait l’effacement des inégalités économiques de développement ! Cette proposition est surréaliste dans le contexte des négociations de la COP21.

Ensuite, vouloir coupler les marchés du carbone entre des pays aux conditions très hétérogènes serait en porte-à faux avec l’approche bottom-up choisie par la communauté internationale depuis la COP de Copenhague (en 2009). Cette approche reconnaît à chaque Etat le droit d’élaborer souverainement ses objectifs d’émissions de gaz dans le cadre de sa stratégie de développement.

S’il existe, le marché local ou régional du carbone doit alors être considéré comme le moyen choisi par un gouvernement pour mener à bien la transition de son économie vers les objectifs qu’il s’est donnés. Le niveau du prix qui en émane reflète ces choix et ce rôle.

Cela n’a alors pas de sens de vouloir imposer un prix unique émanant d’un marché mondial. Il empêcherait chaque pays de se mettre sur la trajectoire de maîtrise des émissions qu’il a voulue politiquement. Il forcerait certains pays à faire ce qu’ils ne veulent pas faire (pour ceux à ambition faible) et d’autres, plus ambitieux, d’aller de l’avant, donc de faire ce qu’ils veulent : le signal prix qui s’imposerait par le biais des échanges internationaux de quotas serait trop élevé pour les premiers et trop faible pour les seconds.

En plus ce serait anti-démocratique, puisque cela reviendrait à bafouer le processus national par lequel un pays s’est donné des objectifs et une stratégie.

Un trompe-l’œil

Par ailleurs, pour que les échanges de quotas entre entreprises relevant de régions différentes aillent dans le sens d’une réduction des coûts collectifs, et pas seulement des coûts privés toutes taxes comprises, il faudrait que la taxation des intrants énergétiques soit identique dans les différents pays concernés. Sinon, les échanges intéressants du point de vue privé vont promouvoir les réductions d’émissions techniquement les plus coûteuses dans les régions à faible taxation des intrants énergétiques, au détriment de l’efficacité économique d’ensemble et des finances publiques des pays qui taxent le plus les intrants énergétiques. Ce serait en particulier un problème pour la France.

Enfin poser un droit individuel égal et universel d’émission de gaz à effet de serre est une idée fausse, tant du point de vue de la justice climatique que du point de vue géopolitique : premièrement, tous les pays, y compris les plus émetteurs, doivent trouver leur intérêt dans le nouveau régime à établir ; deuxièmement, il s’agit d’un trompe-l’œil, puisqu’un tel droit ne servirait qu’à asseoir un marché international du carbone qui serait l’affaire des Etats et des entreprises : les individus-alibis ne verraient jamais la couleur de ces « droits égaux ».

Sur le fond, émettre du CO2 n’est pas une liberté fondamentale exigeant l’égalité stricte. Les besoins connexes, comme les besoins en énergie, sont très différents selon les pays, les régions et les situations. En fait, l’émission de ces gaz n’est pas une émanation des individus, mais le résultat d’une géographie industrielle mondiale, de l’étendue des territoires et d’un état des infrastructures de chaque pays. Le critère le plus « juste » serait celui qui répondrait aux besoins économiques courants, c’est-à-dire un plafond mondial d’émissions réparti périodiquement en proportion de la composante « production de biens » du produit intérieur brut de chaque pays.

Olivier Godard a codirigé avec Jean-Pierre Ponssard Economie du climat. Pistes pour l’après-Kyoto (Ed. de l’Ecole polytechnique, 2011). Il a récemment publié Environnement et développement durable. Une approche méta-économique (De Boeck) et La Justice climatique mondiale (La Découverte, « Repères »).

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