Climat: notre civilisation n’est pas condamnée

Le changement climatique planétaire est l’une des forces les plus puissantes qui va bouleverser nos vies dans les décennies à venir. Nous en avons quasiment tous entendu parler. Mais c’est un sujet si complexe que bien peu de gens, hormis les spécialistes, le comprennent. Je vais donc tenter de l’exposer aussi clairement que possible à l’aide d’une représentation schématique des chaînes de cause à effet pour vous permettre de suivre mon propos.

Le point de départ est la population mondiale et l’impact climatique moyen par individu, c’est-à-dire la quantité moyenne de ressources consommées et de déchets produits par personne et par an. Chacune de ces trois quantités augmente d’année en année.

L’activité humaine génère du dioxyde de carbone (CO2) et libère ce gaz dans l’atmosphère, principalement par la combustion d’énergies fossiles. L’autre gaz le plus impliqué dans le changement climatique est le méthane, qui se rencontre en moindres quantités et est actuellement moins important que le CO2, mais dont le rôle pourrait s’accroître par un effet retour : le réchauffement climatique fait fondre le pergélisol – l’ensemble des sols gelés des régions arctiques –, qui libère du méthane, ce qui provoque plus de réchauffement et libère plus de méthane…

Réchauffement global

L’effet premier le plus reproché à l’émission de CO2 est d’agir comme un gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cela traduit le fait que le CO2 absorbe une partie du rayonnement infrarouge de la Terre, augmentant par contrecoup la température de l’atmosphère. Il existe deux autres effets premiers à l’émission de CO2.

Tout d’abord le CO2 que nous produisons est stocké non seulement dans l’atmosphère, mais aussi dans les océans. L’acide carbonique résultant élève le taux d’acidité des océans, qui est déjà plus élevé qu’à n’importe quelle époque des quinze derniers millions d’années. Cela dissout les coquillages des coraux, entraînant la mort des récifs coralliens, qui sont à la fois des aires de reproduction et de nourricerie majeures de la faune marine, et des zones de protection des littoraux tropicaux et subtropicaux contre les vagues et les tsunamis.

A l’heure actuelle, les récifs coralliens de la planète reculent de 1 % à 2 % par an, ce qui signifie qu’ils auront tous disparu avant la fin de ce siècle, entraînant l’effondrement de la disponibilité des produits de la mer et des menaces sur la sécurité des zones côtières tropicales. Ensuite, notre émission de CO2 impacte directement la croissance des plantes, en bien comme en mal.

L’effet le plus critique de l’émission de CO2 est cependant celui que j’ai mentionné en premier : l’élévation de la température de l’atmosphère. C’est ce que nous appelons le réchauffement global. Mais cet effet est si complexe que l’expliquer par ces termes est trompeur. Premièrement, parler de chaînes de cause à effet signifie que l’élévation de la température de l’atmosphère peut amener paradoxalement certaines zones à se refroidir plutôt qu’à se réchauffer.

Décalages temporels

Deuxièmement, l’augmentation de l’instabilité climatique est presque aussi importante pour les sociétés humaines que la tendance au réchauffement global : tempêtes et inondations à répétition, épisodes de canicule de plus en plus chauds, mais aussi pics de froid de plus en plus intenses, avec des effets tels que les récentes chutes de neige en Egypte ou la vague de froid qui s’est abattue sur le nord-est des Etats-Unis. Cela conduit les politiciens climatosceptiques, qui ne comprennent rien au changement climatique, à insinuer que de tels faits réfutent sa réalité.

Troisièmement, il existe de tels décalages temporels, à commencer par les lents processus d’accumulation et de libération du CO2 par les océans, que même si la totalité des êtres humains mouraient ou cessaient à compter d’aujourd’hui de recourir à des combustibles fossiles, l’atmosphère n’en continuerait pas moins de se réchauffer pendant des décennies.

Quatrièmement, de puissants facteurs d’amplification non linéaires pourraient amener le monde à se réchauffer beaucoup plus rapidement que ne le suggèrent les projections actuelles, qui postulent des relations linéaires entre causes et effets. Citons parmi ces facteurs la fonte du pergélisol et le possible effondrement des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique.

Concernant les conséquences de la tendance au réchauffement moyen de la planète, j’en mentionnerai quatre. La plus évidente dans de nombreuses parties du monde est la sécheresse. Par exemple, 2015 sera l’année la plus sèche de l’histoire de ma ville, Los Angeles, depuis qu’y ont débuté les relevés météorologiques, dans les années 1800.

Diminution des cultures vivrières

Les sécheresses sont, comme on le sait, des fléaux pour l’agriculture. Celles causées par le changement climatique planétaire s’abattent inégalement sur la surface du globe : les zones les plus touchées sont l’Amérique du Nord, le Bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, l’Afrique, les terres agricoles du Sud australien et l’Himalaya. Le seul manteau neigeux himalayen approvisionne en eau la Chine, le Vietnam, l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, et ces pays n’ont que rarement su régler de manière pacifique les conflits qui les opposent.

Une deuxième conséquence de la tendance au réchauffement moyen est la diminution des cultures vivrières. La diminution de la production alimentaire est un problème parce que des projections prédisent une augmentation de 50 % au cours des prochaines décennies de la population mondiale, du niveau de vie général, et donc de la consommation de la nourriture, alors que des centaines de millions de personnes souffrent déjà de la sous-alimentation.

Une troisième conséquence de la tendance au réchauffement moyen est que les insectes porteurs de maladies tropicales commencent à coloniser les zones tempérées. Les problèmes sanitaires qui en découlent concernent à ce jour l’arrivée de l’épidémie de Chikungunya en Europe, la propagation de la dengue et de maladies transmises par les tiques aux Etats-Unis, ainsi que celle du paludisme et de l’encéphalite virale.

La dernière conséquence de la tendance au réchauffement à considérer est la hausse du niveau des mers. Selon des estimations prudentes, l’élévation moyenne attendue au cours de ce siècle serait d’un mètre, mais on sait qu’il y a eu dans le passé des hausses atteignant dix mètres. La principale incertitude à ce sujet concerne le possible effondrement des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Mais même une hausse moyenne de seulement un mètre, amplifiée par les tempêtes et les marées, serait suffisante pour compromettre l’habitabilité de la Floride, des basses terres du Bangladesh et de nombreuses autres zones densément peuplées.

Réduire les activités humaines

Des amis me demandent parfois si le changement climatique peut avoir des effets positifs pour les sociétés humaines. Oui, il pourrait y en avoir quelques-uns, comme l’ouverture de voies de navigation en eaux libres dans le Grand Nord du fait de la fonte de la banquise arctique, ou la probable augmentation de la production céréalière dans des zones telles que les provinces centrales du Canada. Mais la plupart des effets à en attendre seront désastreux.

Existe-t-il des solutions technologiques rapides à ces problèmes ? Vous avez peut-être entendu parler de la géo-ingénierie, consistant à injecter des particules dans l’atmosphère ou à en extraire le CO2 afin de la refroidir. Mais aucune de ces approches n’a été réellement testée et encore moins mise en œuvre. Outre qu’elles seraient très coûteuses, les expérimentations nécessaires demanderaient beaucoup de temps et s’accompagneraient d’effets secondaires tels qu’elles auraient toutes les chances de détruire la planète dix fois avant de voir la géo-ingénierie produire le moindre effet positif. C’est pourquoi la plupart des scientifiques la considèrent comme potentiellement trop dangereuse pour être autorisée.

Tout cela veut-il dire que l’avenir de la civilisation humaine est sans espoir et que nos enfants sont certains de finir dans un monde invivable ? Bien sûr que non. Le changement climatique étant principalement causé par les activités humaines, tout ce que nous avons à faire pour le contenir est de réduire les activités humaines.

Cela implique de brûler moins de combustibles fossiles et d’augmenter la part des énergies renouvelables, comme le nucléaire, l’éolien et le solaire. Si les Etats-Unis et la Chine parvenaient à eux seuls à un accord bilatéral de réduction des émissions de CO2, cela concernerait déjà 41 % de leur volume global actuel. Si l’Union européenne, l’Inde et le Japon nous rejoignaient, cela couvrirait 60 % des émissions mondiales. Le seul véritable obstacle est le manque de volonté politique.

Jared Diamond est professeur de géographie à l’université de Californie, à Los Angeles. Il est l’auteur des best-sellers planétaires, parmi lesquels Le Troisième Chimpanzé (1991), Pourquoi l’amour est un plaisir (1997), Effondrement (2005) et Le Monde jusqu’à hier (2012), tous publiés aux éditions Gallimard.

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