Cologne: pourquoi les explications culturelles sont dangereuses pour le féminisme

Des Syriens manifestent devant la gare de Cologne pour affirmer qu'ils respectent les valeurs de la société allemande. © WOLFGANG RATTAY / Reuters / WOLFGANG RATTAY
Des Syriens manifestent devant la gare de Cologne pour affirmer qu'ils respectent les valeurs de la société allemande. © WOLFGANG RATTAY / Reuters / WOLFGANG RATTAY

Les agressions sexuelles qui se sont produites à Cologne le soir du Nouvel An resteront longtemps dans les mémoires en Allemagne et plus largement, en Europe. Quel dommage que nous ne soyons pas témoin d’un tel émoi à chaque fois que les femmes subissent des violences! Car soyons honnêtes: c’est bien la nationalité des assaillants qui fait débat, les victimes étant encore une fois reléguées à l’arrière-plan des discussions. Comme si les violences sexuelles n’étaient commises que par les «autres», les «non-blancs», les musulmans, ceux qui viennent d’ailleurs. Ce discours orientaliste, alimenté par l’islamophobie galopante en Europe, est devenu tristement banal.

Pas un événement isolé

Pourtant, selon les chiffres des Nations Unies, on estime que 35% des femmes dans le monde ont subi des violences sexuelles ou physiques entre les mains de leurs partenaires intimes à un moment de leur vie. 70% des femmes assassinées le sont par leur conjoint masculin. Les agressions de Cologne ne sont donc pas un événement isolé mais s’inscrivent plutôt dans un contexte global alarmant de discrimination généralisée à l’égard des femmes. On en veut pour preuve la réaction paternaliste du maire de Cologne qui recommandait aux femmes de se tenir à une distance «plus longue que le bras» avec les inconnus. Encore une fois, il s’agissait de discipliner les femmes, tout en suggérant que celles qui ne respecteraient pas la règle seraient responsables de leur sort. Des propos d’autant plus choquants qu’ils venaient de la bouche d’une femme.

Malgré ces faits indéniables, la discussion reste focalisée sur la nationalité et la religion des agresseurs. On ne commentera jamais sur la «culture bavaroise» quand les femmes sont victimes d’agressions chaque année pendant la traditionnelle «Oktoberfest». Ainsi, Cologne alimente le stéréotype du «rapefugee», combinaison de «réfugié» et «violeur» en anglais. Le dessinateur Riss de Charlie Hebdo, le journal satirique désormais devenu l’emblème de la liberté d’expression, a d’ailleurs profité de ce grossier amalgame pour caricaturer Aylan Kurdi, l’enfant mort noyé alors que sa famille tentait de rejoindre l’Europe, en agresseur sexuel à l’âge adulte.

Féminisme teinté de colonialisme

Les explications culturelles permettent de passer sous silence celles mettant en lumière les dynamiques du nationalisme sexuel à l’œuvre dans la crise des réfugiés. En effet, les débats sur l’identité nationale qui traversent nos pays s’appuient souvent sur les stéréotypes de genre et de nationalité. Ainsi, préserver «nos valeurs» et «notre identité» nécessite de présenter «l’autre» (le musulman, le réfugié) comme occupant un univers moral diamétralement opposé, notamment en matière de droit des femmes et des homosexuels. Les partis nationalistes (mais aussi de plus en plus les partis traditionnels de droite comme de gauche) utilisent ce féminisme teinté de colonialisme afin de justifier leurs politiques sécuritaires et discriminatoires envers les réfugiés et les musulmans.

Alors que les femmes musulmanes européennes subissent de plus en plus d’agressions islamophobes sans qu’aucun gouvernement ne s’en émeuve, les questions féministes se trouvent instrumentalisées par ceux-là mêmes qui en d’autres circonstances n’ont que faire du droit des femmes.

La division des féministes

Le mouvement féministe lui-même est profondément divisé entre une tendance universaliste pour qui l’émancipation passe par l’assimilation et une tendance plus ouverte qui prend en compte les inégalités de race et de classe. La première tendance, qui domine actuellement le débat public, est à mon avis dangereuse car elle exclut les femmes («non-blanches») qui font l’expérience d’autres formes de discriminations. Par ailleurs, il renforce le stéréotype de l’homme musulman misogyne sur lequel fleurit le nationalisme mortifère partout en Europe.

Après Cologne, le mouvement féministe européen va devoir faire un choix déterminant mettant en jeu son avenir propre. Il devra garder en tête que les musulmans n’ont pas le monopole du viol et que dans la lutte pour l’égalité, on ne gagne jamais en avilissant l’autre.

Julie Billaud, anthropologue à l’Institut Max Planck en Allemagne, spécialiste de l’Afghanistan, de l’islam et des questions de genre.

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