Combattre la faim, une responsabilité commune

Les récents chiffres portant sur la faim et la malnutrition dans le monde sont alarmants : plus d’un milliard de personnes ont faim et deux milliards et demi manquent des micronutriments essentiels à une vie active et au plein épanouissement physique et mental. Les déficits en fer, en vitamines A et en zinc comptent encore parmi les dix principales causes de mortalité dans les pays en développement. Dans ces pays, un enfant sur trois souffre d’un déficit de croissance. Le sommet mondial sur la sécurité alimentaire, convoqué à Rome du 16 au 18 novembre, offre aux dirigeants du monde une occasion unique de s’entendre sur une stratégie coordonnée visant à y mettre fin.

Car ce qui fait du fléau de la faim un scandale, c’est qu’elle est évitable. Certes le changement climatique représente un défi majeur à la sécurité alimentaire mondiale à l’avenir et, à l’heure actuelle déjà, des pluies de moins en moins prévisibles, la multiplication des sécheresses et des inondations ont des impacts sur les populations vulnérables. Mais le défi qui consiste à produire suffisamment pour nourrir la planète est un défi que nous parvenons à relever : les récoltes de cette année, par exemple, sont seulement légèrement inférieures à celles de 2008, lorsqu’un montant record de 2 287 millions de tonnes de céréales avaient été produites. Cependant, il faut en même temps accepter de revoir des modes de production et de consommation parfois non soutenables qui menacent d’épuisement rapide nos ressources naturelles.

Mais la faim ne constitue pas qu’un problème technique. Elle pose un défi politique. Elle est le résultat de choix qui ont gravement accru les inégalités entre pays et au sein de chaque pays. L’agriculture n’a pas été soutenue par le passé comme il l’aurait fallu, en raison d’une diminution de l’aide au développement du secteur agricole, passée de 17% en 1980 à 3,8 % en 2006, et aussi d’un régime du commerce international pénalisant pour les pays en développement, qui a rendu l’agriculture souvent moins attrayante pour les paysans les plus vulnérables du Sud. Cela a provoqué un exode rural massif, qui a conduit à une croissance exponentielle des bidonvilles autour des grandes cités ; et celles et ceux qui sont restés dans les campagnes ont été confinés le plus souvent à une maigre agriculture de subsistance. Le pouvoir d’achat de larges groupes de la population est à présent trop faible pour qu’ils puissent acheter de la nourriture sur les marchés. Ils ont faim parce qu’ils sont pauvres, et ils sont pauvres parce que, trop souvent, ils ont été oubliés des politiques publiques. Leur voix n’est pas entendue lorsque les décisions politiques les concernant sont prises.

La responsabilisation des gouvernements est donc un outil essentiel de la lutte contre la faim. Le droit à l’alimentation doit, pour cette raison même, être au cœur des efforts de relance de l’agriculture : fonder nos efforts sur le droit à l’alimentation, c’est assurer un meilleur ciblage de nos actions, qui doivent bénéficier aux plus vulnérables ; c’est garantir leur participation à la définition et à la mise en œuvre des choix qui les concernent ; et c’est veiller à ce que les laissés-pour-compte, celles et ceux que les politiques de soutien n’atteignent pas, puissent s’en plaindre. Il s’agit également de changer le regard que nous portons sur ceux qui souffrent de la faim : de personnes vulnérables à qui l’on fait la charité à des personnes dont les droits sont fondamentaux.

Une responsabilité mutuelle doit s’instaurer entre les pays donateurs et leurs partenaires, afin que, conformément à l’esprit de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide et du plan d’action adopté à Accra en septembre 2008, l’aide devienne plus prévisible et s’inscrive mieux dans les stratégies nationales des partenaires, en même temps que son utilisation corresponde mieux aux besoins réels de la population. De mutuelle, cette responsabilité doit devenir triangulaire : c’est aussi envers les populations que les gouvernements donateurs, comme leurs partenaires, ont des obligations.

Le sommet mondial sur la sécurité alimentaire constitue une opportunité unique pour passer de la rhétorique à l’action. Nous appelons les participants à tirer les enseignements des échecs et des réussites passés. Globalement, nous n’avons pas su combattre, de manière décisive, la faim dans le monde. Les promesses faites de sommet en sommet ne sont pas toujours suivies d’effets. L’aide reste mal coordonnée, et la gouvernance mondiale en matière d’alimentation et d’agriculture est encore trop fragmentée. Des évolutions prometteuses existent. Il en est ainsi de la déclaration du G8 à L’Aquila, en juillet, qui a replacé le développement agricole des pays les plus pauvres au cœur de la stratégie de lutte contre la faim. La réforme du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, qui va lui permettre de jouer un rôle clé dans le système de gouvernance mondial de la sécurité alimentaire, est un autre élément déterminant pour l’avenir et les directives pour le droit à l’alimentation offrent un outil opérationnel très utile pour assurer la sécurité alimentaire au niveau national.

A Rome, les dirigeants du monde auront une occasion historique de réformer le système actuel. Nous ne pouvons plus admettre tant de vies gâchées et d’enfants victimes de la faim qui ne demandaient qu’à vivre et que nous aurions pu éviter. Nous devons, et nous pouvons, vaincre la faim et faire du droit à l’alimentation une réalité pour tous.

Oliver de Schutter, rappoteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation, et Jacques Douf, directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, FAO.